Le tresor de l'indomptable
l’église.
Desroches, adossé contre un pilier, regardait le père Warfeld qui oignait le cadavre des saintes huiles. Berengaria avait perdu toute beauté. Le noeud était serré autour de son cou, les yeux exorbités, la figure marbrée et la langue saillante. Elle était étalée, les membres épars. Attentif aux prières murmurées par le prêtre, Corbett s’agenouilla et, à l’aide de sa dague, trancha la corde, la retira et la tendit à Ranulf. Une étrange secousse détendit le corps. Corbett redressa les jambes et les bras au moment où le père Warfeld, l’air hagard, les yeux cernés de rouge, levait la main pour administrer l’ultime bénédiction et l’absolution.
— Elle nous a quittés ! chuchota-t-il. Une jouvencelle si avenante ! Puisse le Seigneur lui pardonner tous ses péchés, ainsi que les miens.
Le magistrat eut envie de demander au prêtre de s’expliquer, mais décida que cela pouvait attendre. Il se leva et fit signe qu’on le rejoigne un peu plus loin dans la nef, près du jubé devant le choeur.
— Eh bien ? questionna-t-il en se retournant soudain. Que s’est-il passé céans ?
Warfeld expliqua que Berengaria se sentait fort aise dans le logement qu’il lui avait procuré. Ce matin-là, il était venu célébrer sa messe et ils étaient sur le point d’aller déjeuner dans une rôtisserie de la ville quand le médecin Desroches était arrivé et avait demandé à le voir. Il avait alors dit à Berengaria de patienter dans l’église et il avait conduit Desroches au presbytère. Leur entrevue achevée, ils étaient revenus à l’église, où Berengaria devait les attendre.
— Et nous avons découvert ce que vous venez de voir, Sir Hugh, ajouta Warfeld, éploré.
Corbett lança un coup d’oeil à Desroches.
— Le corps est encore un peu chaud, observa ce dernier. Elle était en excellente santé quand nous l’avons laissée. L’assassin s’est sans doute faufilé dans l’église et l’a tuée. Dieu sait pourquoi il a abattu une pauvre servante.
— Je ne crois pas qu’elle était aussi pauvre que vous le pensez, corrigea Corbett. Berengaria avait l’oeil plus vif et l’esprit plus aiguisé que beaucoup d’entre nous ne le jugions. Je me demande vraiment la raison de ce meurtre.
Il respira profondément.
— Maître Desroches ?
Le médecin leva les yeux.
— Sir Hugh ?
— Nous avons trouvé le corps de Servinus, le garde de Paulents. Il a été abattu d’un carreau d’arbalète dans la poitrine ; puis on l’a éventré et on a dissimulé sa dépouille dans une cuve de bière, tout au fond des caves. J’ai posé une question à Sir Walter. Je vous la pose aussi à vous. Quatre personnes ont été assassinées par pendaison dans cette grand-salle, ce qui ressemble fort au trépas de la malheureuse Berengaria. Pourquoi Servinus, lui, a-t-il subi un autre genre de mort ?
Desroches fit une grimace.
— Sir Hugh, je le connaissais à peine. Nous nous sommes salués et c’est tout.
— Et pourquoi êtes-vous venu céans ce matin ? s’enquit Ranulf.
— Pour voir le père Warfeld. Je vous l’ai dit, Sir Hugh, et il le confirmera. Je ne suis point né à Cantorbéry, mais mes parents sont enterrés ici, dans le cimetière. Si vous feuilletez le Liber Mortuorum – le registre des morts – vous y trouverez leurs noms. Ils ont tous les deux trépassé un peu avant Noël ; c’est donc l’anniversaire de leur mort. Je suis venu demander au père Warfeld de chanter une messe de requiem à leur intention.
— C’est vrai, chevrota le prêtre. Nous n’avons pas été absents longtemps, Sir Hugh. Il fait froid dans l’église. Berengaria a dit qu’elle irait se réchauffer les mains au-dessus des cierges.
Il désigna le transept où des cierges brillaient dans l’obscurité sous la statue du saint enveloppée de ténèbres.
— Je ne pensais pas que quelque chose... Je...
La voix lui manqua et il s’écarta, accablé.
Le magistrat le suivit.
— Père Warfeld, chuchota-t-il. Qu’était Berengaria pour vous ?
Ce dernier se retourna.
— Sir Hugh, je suis dans la maison de Dieu.
Il s’éloigna et fit signe au clerc de le rejoindre.
— Sir Hugh...
Il s’interrompit, puis murmura :
— Il faut que je me confesse ; je dirai la vérité là-dessus. Berengaria comprenait les hommes. Je lui ai procuré un logis ; elle m’a procuré un peu de réconfort.
Il détourna les
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