Le trésor
à une affreuse tentation mais une voix secrète murmurait qu’à cette tentation Pierre n’aurait pas succombé.
« C’est à moi, à présent, qu’il incombe d’assurer leur existence et, si le trésor se retrouve, cela me sera facile. Je rachèterai le château et je ferai de Pierre mon intendant. S’il ne se retrouve pas, ce qui est toujours possible, je me chargerai d’eux tout de même. Anna est l’une de ces femmes fortes qui savent mener une maison, même importante, sans faiblir. Quant à Madalen… »
Immobiles jusqu’alors, les regards de Gilles glissèrent lentement sous la paupière et vinrent se poser sur la jeune fille. Un chapelet au bout des doigts, elle se tenait assise à quelques pas de lui avec les autres femmes et tenait sa partie dans le chœur des répons aux prières. Un châle noir recouvrait sa tête dissimulant l’or de ses cheveux mais exaltant la blondeur de son visage sur laquelle les larmes continuaient à couler. Qu’elle était donc émouvante dans sa douleur ! Mais quelles pouvaient être les pensées qui se cachaient sous ce beau front lisse et pur ? Songeait-elle vraiment, comme le voulait sa mère – oh ! le nombre de mères bretonnes qui ne songeaient qu’à offrir leur enfant à Dieu ! – à ensevelir sa beauté sous les voiles d’une nonne ? Ou bien, pensait-elle, au contraire, qu’avec son grand-père venait de tomber la dernière barrière la défendant encore du cloître ? Depuis qu’il était entré dans cette maison, Gilles n’avait qu’à peine entendu sa voix, une voix douce et musicale de fillette timide, mais, parfois, il avait surpris son regard posé sur lui, plein d’inquiétude mais dont il n’avait pu savoir s’il était terrifié ou admiratif.
Quant à lui-même, il s’interdisait d’analyser les sentiments qui s’agitaient en lui quand il regardait Madalen car il avait bien trop peur d’y découvrir l’appel d’un désir qui eut été une offense à l’âme de son vieil ami. Le seul qu’il autorisait se révélait être un besoin profond, presque instinctif, de la protéger, de la défendre, fût-ce au risque de sa vie, contre tout ce qui pourrait atteindre son cœur ou sa personne… et aussi l’espoir qu’elle le lui permettrait.
Tard dans la nuit – les gens de la veillée s’étaient retirés à minuit après un petit repas et, seuls, Pierre et les deux garçons de ferme veillaient auprès du corps – Gilles et Pongo se retrouvèrent dans la grande salle basse du logis seigneurial où, une fois déjà, ils avaient passé la nuit en compagnie de Jean de Batz. Ils retrouvèrent la jonchée de paille et les peaux de mouton blanc qui leur servaient de lit et aussi la brassée de genêts dorés – moins dorés que les cheveux de Madalen – dans le grand vase de pierre : même au fond du chagrin et des angoisses du lendemain, Anna accomplissait les gestes qu’auraient ordonnés non seulement l’ancêtre mais son propre sens de l’hospitalité.
La fatigue, qui l’avait miraculeusement déserté durant toute cette longue soirée, lui retomba sur les épaules comme une chape de plomb. Pongo, de son côté, dormait déjà, roulé en boule sur les peaux de mouton, tel qu’il s’y était laissé tomber sans prononcer un seul mot, à son entrée dans la salle. Pourtant le sommeil attendrait encore un peu car, si accablante que fût sa lassitude, elle était cependant moins forte que sa curiosité.
Tirant le paquet de son habit, il le regarda mieux, vit qu’il se composait d’un morceau de parchemin solide et si soigneusement fermé qu’il dut employer la pointe de son épée pour faire sauter le cachet cruciforme.
Quand l’enveloppe fut ouverte, un petit objet s’échappa d’un rouleau de papiers et tomba sur les dalles où il rebondit avec un bruit clair. Se penchant, Gilles le ramassa et constata qu’il s’agissait d’une petite feuille de laurier finement ciselée dans un bronze, sans doute très ancien car il était fortement oxydé, et pendue à un cordon. Un instant, il tint l’objet dans sa main, l’examina soigneusement, le tournant et le retournant. Puis, comme une plus longue contemplation ne lui avait rien appris de plus, il reprit le petit rouleau qui se composait de papiers d’âges différents : une feuille récente portant quelques lignes visiblement tracées par le vieux Joël et une sorte d’étroit cahier beaucoup plus ancien, jauni, taché, sali et couvert d’une curieuse
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