Le trésor
langue épaissit… Je veux écrire dans l’espoir qu’un jour peut-être on trouvera mon corps et cet écrit et que la cachette sera découverte afin que, dans l’éternité, le seigneur Raoul ne jouisse pas de son crime…
Toi qui trouveras ceci, va dans l’église de l’abbaye Saint-Aubin et vois le superbe tombeau où reposera le baron de Tournemine avec son secret. Au pied du gisant tu verras ses armes et le grand casque empanaché à la visière baissée que j’ai sculpté dans la pierre. Ce casque est couronné de lauriers mais l’une des feuilles se soulève et cache le mécanisme qui ouvre la visière. Il suffit, une fois la feuille enlevée, d’appliquer à sa place la petite feuille de bronze que je porte à mon cou et de pousser… Va et puisse le seigneur Dieu permettre que tu puisses profiter de biens mal acquis. On dit que le baron a rapporté d’Italie de fabuleux bijoux, peut-être les fameux rubis de César Borgia et d’autres encore…
À présent, adieu. Toi qui trouveras ceci, prie pour le repos de l’âme d’un malheureux qui n’avait commis d’autre crime que l’orgueil de son talent. Le reste de mes forces je vais l’employer à prier pour que Dieu me pardonne d’avancer un peu l’heure de ma mort… qu’il me pardonne aussi d’avoir, peut-être dans une intention coupable, fondu un double de la feuille qui sert à ouvrir le casque de pierre. La paix soit avec toi … »
Sa lecture achevée, Gilles replia les papiers, reprit la petite feuille de bronze et de nouveau la contempla. Ce qu’elle représentait l’éblouit et l’horrifia tout à la fois : une fortune pour lui, une mort atroce et solitaire pour l’artiste génial qui l’avait créée dans sa perfection. Il remit les papiers dans la poche intérieure de son habit, souffla la chandelle et s’étendit enfin sur les peaux de mouton gardant serrée dans sa main la feuille de laurier dont il avait noué le lacet de cuir autour de son poignet pour ne pas la perdre dans son sommeil. Alors, enfin, il s’endormit des rêves plein la tête…
Le lendemain, tandis que les paysans d’alentour continuaient à défiler auprès de la dépouille du vieux Joël que l’on enterrerait le jour suivant, il interrogea Pierre sur le lieu de cette sépulture.
— Mon grand-père sera enterré comme tous ceux de Plédéliac ou des alentours du château, dans le petit cimetière du prieuré du Saint-Esprit. Seuls les seigneurs ont droit à l’intérieur de l’église.
— Est-ce là que reposent mes ancêtres ?
— Oh non, monsieur le chevalier ! Ce sont les Rieux, les derniers seigneurs de La Hunaudaye qui sont au Saint-Esprit. Les Tournemine, eux, avaient coutume de se faire enterrer à l’opposé, en plein cœur de la forêt, dans la vieille abbaye de Saint-Aubin-des-Bois. Ils y avaient un enfeu et plusieurs tombeaux.
— J’aimerais y aller. Est-ce possible ?…
— Oh ! c’est bien facile ! L’abbaye n’est guère qu’à une petite lieue d’ici. Elle n’est pas en très bon état et il n’y a plus beaucoup de moines mais l’église est belle et les tombeaux sont toujours là.
— Peut-on y entrer aisément ou bien est-elle enfermée dans des cours et des bâtiments ?
— Mais… l’accès ne présente pas de difficultés, répondit Pierre sans parvenir à cacher tout à fait l’étonnement que lui causait cette bizarre question, l’église est bâtie sur un côté de l’abbaye. Elle longe le chemin qui va de Saint-Aubin à Saint-Denoual. Mais pourquoi vous tourmenter ? Si vous souhaitez visiter l’abbaye et surtout les tombeaux, le père abbé ouvrira toutes grandes ses portes au chevalier de Tournemine.
Tirant le jeune homme à part, Gilles l’emmena faire quelques pas hors du château le long des douves qui débouchaient sur un petit étang.
— Votre grand-père ne vous a rien dit touchant ce pourquoi il tenait tant à me voir avant de mourir ?
Le regard calme et franc du jeune homme rejoignit celui du chevalier.
— Il n’a eu besoin de rien me dire, monsieur le chevalier. Je sais qu’il s’agissait du trésor. Nous étions ensemble lorsqu’il a découvert l’homme mort au fond du puits. Nous cherchions depuis si longtemps !… Ah ! si ! J’y pense ! il m’a dit : « Je crois, Pierre, que nos recherches sont terminées. Il faut à présent le dire à M. de Tournemine… »
— Et si vous ne m’aviez pas retrouvé ? Savez-vous, mon ami, que j’ai dû
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