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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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s’allumaient sur la plaine. Le vent d’ouest qui soufflait à présent par courtes rafales les attisait avec vivacité et répandait le feu partout alentour.
    Nos arbalétriers, en position sur les créneaux, guettaient les imprudents qui s’approchaient du cours de la rivière pour décocher leurs carreaux. D’aucuns parmi ces téméraires furent occis ; d’autres, la cuisse ou le bras transpercés, tentèrent de regagner leur ligne en claudiquant pour s’abriter derrière les mantelets. Mais ceux qui eurent la malchance d’accueillir un barbillon dans le dos, ou dans le gras du cul s’effondrèrent sur le sol.
    Dans la vallée en feu, plusieurs pavillons, de nombreux charrois et chanlattes brûlaient gaiement tels des feux de joie à la Saint-Jean. Trois mangonneaux étaient la proie des flammes. Ici ou là, des lingères, des cantinières, des gens d’armes courraient en tous sens, trépignaient en se battant les flans, tandis que leurs compains tentaient d’éteindre à l’aide de peaux ou de branchages les flammes qui brouillaient surcots, pourpoints ou mantels avant de rôtir les corps eux-mêmes.
     
    Sur la terrasse du donjon, d’où j’observais la scène, je n’avais guère besoin de clepsydre pour savoir qu’en moins d’une demi-heure, nous avions sérieusement desconfit le moral de l’ennemi et magnifiquement ralenti l’organisation de son siège. Les réglages du tir de nos balistes et autres machines de guerre, dans le courant de l’été dernier, avaient été couronnés de succès, au-delà de mes propres espoirs. Deux jours au moins avaient ainsi été gagnés, avant que le Godon ne réorganise ses forces et ne songe à lancer son assaut.
    Mais, à la vue des corps calcinés, à entendre les hurlements de douleur des hommes et des femmes brûlés vifs, les flammes des bûchers affoués par les tribunaux de la sainte Inquisition pour les hérétiques dansaient devant mes yeux. Béziers, Bram, Castres, Lavaur, Minerve, Moissac, Montréal, Montségur et tant d’autres hauts lieux de la tragédie albigeoise.
    Cependant, la guerre qui sévissait depuis une dizaine d’années n’était pas une guerre de religion entre Croyants et Infidèles, ou entre catholiques et hérétiques. Notre guerre n’obéissait pas à des considérations religieuses. Elle était d’ordre purement politique. Une guerre que nous livrait le roi Édouard, troisième du nom, pour tenter d’imposer par la force des armes ses prétentions à la couronne de France. Au dépris de son héritier légitime, tentai-je de me convaincre.
    « Ces malheureux ne sont que des victimes innocentes qui obéissent à des ordres qui les dépassent », murmurai-je à voix basse, sans m’être aperçu que Guillaume de Lebestourac, resté près de moi, avait ouï mes derniers propos.
    — Pas si innocentes que tu le dis, Bertrand ! » protesta-t-il, comme s’il avait deviné, à l’expression de mon visage, les doutes qui me consumaient.
    Sa réflexion m’escagaça. Sans le regarder, je le priai un peu sèchement de bien vouloir m’informer de la bonne préparation du troisième degré de la riposte dont nous étions convenus en Conseil. Une riposte dissuasive. Une riposte décisive dont nous avions largement débattu. Mon bon compère en chevalerie s’esdrecia et, plongeant dans les miens des yeux devenus plus gris que jaunes, il me dit simplement, fortement remochiné cependant:
    « Mon ami, je n’ai point besoin d’ordre à recevoir d’un chevalier nouvellement adoubé pour savoir où est mon devoir. »
    Je me dis que le ton de mes paroles l’avait très injustement meurtri. J’en fus profondément mortifié, mais pris sans vert, je ne sus comment m’excuser.

    Or donc, nos prisonniers étaient à présent enchefrinés dans le Grand Cluzeau. Tous, sauf trois : le fendant chevalier Géraud de Castelnau d’Auzan et ses deux écuyers avaient été soustraits du convoi. Fendant, le Gascon l’était moins sur l’heure: il pressentait le triste sort que je lui réservais.
    Sur un signe, deux sergents d’armes le saisirent. Ils dénouèrent les aiguillettes qui retenaient les quelques plates, épaulières, cubitières et genouillères de son harnois pour ne lui laisser que sa chainse et ses chausses. Ils le forcèrent à s’agenouiller pour lui attacher par de solides cordes les poignets aux chevilles, et les chevilles au col, dans le dos. À l’aide de ce bon chanvre cultivé dans nos champs.
    Les douze

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