Le tribunal de l'ombre
m’inspirait m’égaraient, à la limite du blasphème :
« Messire d’Agenais, ou vous, messire de Puycalvet, pourriez-vous quérir notre curé ? S’il cuve un trop plein de notre petit blanc du bergeracois ou du vin de Domme, bottez-lui le cul et qu’il se rende céans incontinent. Le temps presse ! Ne faisons point attendre les Godons ; ils pourraient douter de notre volonté de mettre nos menaces à exécution ! »
Le temps d’une confession et d’une absolution, les Anglais n’avaient toujours pas répondu à notre sommation. L’heure des ultimes représailles était venue.
« Sergent, le trébuchet est-il paré à catapulter ? Avez-vous réglé la tension des cordes en conséquence ? La poche de fronde est-elle prête à accueillir messire d’Auzan pour son premier et dernier survol de nos positions ? Pour que son corps se desrochie aux pieds du pavillon comtal et non plus sur le toit, cette fois ? m’enquis-je froidement.
— Nous sommes parés, messire Bertrand, le projectile ne devrait pas s’écraser bien loin de l’entrée », me rassura joyeusement Luc Finebranche.
Alors que je m’apprêtai à ordonner d’ôter la goupille qui retenait le basculement mortel de la huche, une voix, à dix pas de moi, hucha à gueule bec :
« De grâce, messire Brachet de Born, de grâce ! Épargnez la vie de mon maître ! Il est trop fendant pour la bailler en quelque négoce qu’il soit ! Sachez cependant qu’il a sauvé, il y a peu, la vie d’une gente damoiselle enlevée par une compagnie de routiers ! Il ne mérite pas cette fin atroce que vous lui avez réservée ! Près la ville de Saint-Cyprien, les soudoyers ont forcé les portes d’un couvent et violé des moniales qui prenaient pieuse retraite dans la lumière de saint Benoît. »
Une jeune damoiselle ? Un couvent à Saint-Cyprien ? Des soudoyers ? À cet aveu, je fus aussi sonné que si mes oreilles avaient été collées au bronze d’un des deux bourdons de la chapelle Saint-Jean.
Le sang me monta à la tête et m’enflamma les joues aussi sûrement qu’une paire de gifles à la volée. Cette jeune damoiselle ne pouvait être que ma sœur, Isabeau de Guirande. Ma gente et blonde fée aux alumelles attendait la fin de l’epydemie de Mal noir dans le silence du cloître et l’obscurité de ses yeux éteints {12} . Je n’avais onques eu la joie de la serrer dans mes bras. Elle détenait tant de secrets ! Des secrets que d’aucuns convoitaient avec une telle âpreté qu’ils avaient commis des crimes de sang et de félonie plus ignominieux les uns que les autres. Moi-même n’avais échappé à moult tentatives d’assassinat par le fer ou par le poison, que par la grâce bienveillante de mes anges gardiens et de la Vierge de Roc-Amadour.
« Cette damoiselle, connaissez-vous son nom ? Savez-vous ce qu’il est advenu d’elle ? Répondez sur le champ, messire écuyer, messire ? messire ? Quel est votre nom, je vous prie ?
— Je suis de Pierregord et me nomme Queyssac, Hugues de Queyssac.
— Votre nom ne m’est pas inconnu. Mais celui de cette damoiselle ? Le sien ? Le connaissez-vous ? Vous en souvenez-vous ?
— Elle est de noble naissance, mais je ne connais point son patronyme. Mon maître, messire Géraud de Castelnau d’Auzan le connaît certainement ! »
Sa réponse ne me suffit pas. Elle fleurait un insupportable parfum de chantage. Je desforai l’épée, le feu aux joues. Ma sœur serait-elle tombée entre les mains de cet autre félon ?
Les deux écuyers du chevalier gascon avaient été contraints de se tenir à genoux pendant le supplice de leur maître. Hugues de Queyssac m’affrontait, mais la peur se lisait dans son regard.
Le tranchant de ma lame effleura sa gorge, entamant la peau de son col. Une mince coupure traça un filet de sang. Quelques gouttes perlèrent, puis glissèrent sur le dégorgeoir de mon épée.
Je la levai dans la positura del faucone, la position du faucon, ainsi que la nomment les condottieri transalpins, l’immobilisai au-dessus de mon chef, prêt à l’abattre en un mouvement tourbillonnant de senestre à dextre. J’hésitai entre décoler le chef de cet écuyer et trancher les cordes qui retenaient la libération du contrepoids.
« Par Saint-Michel et tous les saints du paradis, dis-moi son nom ou je te décapite !
— Je crie merci, messire chevalier, mais ne puis livrer ce que messire de Castelnau d’Auzan est seul à
Weitere Kostenlose Bücher