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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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et le chevalier de Montfort avait bien cru devoir renoncer ce jour-là à l’héritage que lui avait légué l’un de ses ancêtres, le comte Philippe de Montfort, en l’an de grâce 1270, à seize jours des calendes de septembre, le 16 du mois d’août, avant qu’icelui n’ait été occis par un catéchumène (dont il ignorait l’appartenance à la secte Hachichiyyins).
     
    Suivit un long, un très long monologue. Je n’osai interrompre le chevalier de Montfort que rarement, pendu à ses lèvres comme je l’étais :
    « Éléonore ment avec autant d’aisance qu’elle respire. Et elle ne manque point de souffle. Elle clabaude et fabule avec l’angélisme d’une bagasse dans un bordeau. Elle détient des secrets qui valent de l’or, mais tout ce qu’elle dit ou avoue doit être pesé, recoupé par d’autres sources d’information. Et broyé comme graines de cubèbe et autres épices dans un mortier, si l’on veut en extraire le parfum.
    « Ses paroles sont truffées de vérités et de mensonges. Elle distille son ancolie avec belle intelligence en une savante alchimie dont elle seule a le secret.
    « Elle est sournoise, rusée et manipule ses interlocuteurs de fort adroite façon en endormant leur méfiance pour mieux les déshonester. Tenez, un jour, elle me posa cette question saugrenue : « À votre avis, mon beau sire, un âne est-il doté de l’intelligence des choses ? » Je lui répondis hâtivement que l’âne me semblait trop servile pour faire preuve d’esprit. Elle me demanda alors si je savais comment un âne reconnaissait une ânesse en chaleur. Je lui avouais mon ignorance. Elle jubila : « Vous voyez bien, mon ami, que vous êtes plus coillon qu’un âne, car lui, il le sait bien ! »
    « Faute de réplique cinglante, je perdis mon sang-froid et lui administrais une gifle retentissante. À dater de ce jour, nous n’eûmes plus aucune relation charnelle. Mais son cœur saigne toujours au souvenir de cette humiliation, à la manière du feu qui dévore les Frères et Sœurs de la confrérie du Libre-Esprit.
    — Ainsi donc, messire Foulques, vous connaissiez ses penchants hérétiques ? Pourquoi ne pas l’avoir dénoncée ?
    — Il n’est pas dans mon caractère de jouer les référants de tranquillité. Encore moins les délateurs devant les tribunaux de l’inquisition. Ma chair et mon cœur gardent encore les marques de la dénonciation calomnieuse dont je fus autrefois victime. Je dus la vie sauve à quelques routiers en embuscade ; ils descharpirent le convoi qui me menait sur le bûcher et j’obtins, par la suite, une lettre de rémission de la Pénitencerie pontificale.
    « Mais je crains fort que l’origine de ces tourments ne soit l’œuvre d’Éléonore de Guirande…, s’enflamma le fendant chevalier, qui n’osait point avouer qu’il l’avait aimée.
    « Cette femelle est plus dangereuse que vous ne le pensez, messire Bertrand. Onques, ne l’oubliez ! Tantôt révoltée puis soumise, tantôt faible puis forte, toujours chatemite, elle attend le bon moment pour vous prendre sans vert et vous geler le bec. Piperie, farcerie, fantosmerie et paillardise agitent sa cervelle et grouillent dans son sang comme têtards dans l’eau d’un marécage.
    « Elle vous enfagilhère pour vous serrer dans sa toile. Une toile qui a l’apparence de la soie, mais qui est tissée du chanvre des cilices dont se vêtent les pénitents. Même brûlée vive, elle renaîtrait de ses cendres, tel le Phénix de la mythologie ! »
     
    Il est des accents de vérité qui ne trompent point. Je pensais connaître la baronne et en avoir cerné les redoutables manœuvres, j’étais encore loin du compte. Le chevalier de Montfort venait de m’administrer une nouvelle et flagrante preuve de son imposture. Ce que je supputais de ses mensonges n’était rien, à en croire celui que j’avais considéré comme son chevalier servant.
    Je ne pus réprimer une grimace de dégoût sous le choc des révélations qu’il avait faites. Et de regretter douloureusement les soupçons dont j’avais accablé celui qui m’avait épargné le supplice du pal, trois ans et quelques mois plus tôt. En l’île d’Aphrodite. Chypre. Une île que nous pensions d’amour ! Elle le fut aussi, en vérité : Échive, Échive, ma princesse de Lusignan…
    L’esprit est ainsi fait qu’on n’en maîtrise pas toujours les subtils rouages. Aussi est-ce, sans doute sans autre raison, que

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