Le tribunal de l'ombre
général du roi d’Angleterre pour la Guyenne nous avait gratifiés en échange du bœuf que nous avions livré sur pied à ses troupes affamées.
Je le tourmentai de questions, à la manière de Marguerite et non pas en le soumettant au supplice de la planche qui avait coûté la vie à Julien Liorac, quelques mois plus tôt.
Il refusa d’y répondre. J’évitai de le menacer du trébuchet : le temps en était révolu. Point de trébuchet, point d’autre instrument de torture. J’entendais lui soutirer des informations essentielles de plus adroite façon et prendre le temps qu’il faudrait, sans précipitation, pour arriver à mes fins. Car une magnifique idée avait germé dans mon chef. Il fallait absolument que je conduise le félon chevalier à me proposer de lui-même ce que je craignais de ne pouvoir obtenir si je tentais de l’y contraindre par la force.
Guillaume de Lebestourac, ce grand jouisseur passible des tribunaux pour fornication aggravée à l’encontre d’une servante de Commarque, mais fraîchement libéré des griffes de l’ours anglais, manifesta le désir d’assister à l’entretien. Je ne pus le lui refuser : notre prisonnier n’était-il pas questionné dans sa propre demeure ?
Je proposai à Foulques de Montfort de se joindre à nous. Il se récusa, sous prétexte qu’il en relevait de la bonne fin de ma mission de capitaine de céans.
René le Passeur et Marguerite quittèrent la pièce, prétextant d’autres occupations. J’ordonnai à René de se tenir à l’arme dans l’antichambre et de surgir au premier appel. Lebestourac approuva d’un hochement de tête.
Pendant près d’une heure, je n’évoquai à aucun moment le sujet qui me brûlait les lèvres, mais débattis du montant de sa rançon. Le chevalier tergiversa comme un cerf aux abois. Nous parlâmes fiefs et bénéfices. L’homme était tantôt pécunieux, tantôt pleure-pain, mais le verbe toujours haut, fleuri et fort. Un vrai Gascon.
En vérité, sa fierté gasconne lui interdisait d’avouer l’état misérable d’une famille aux besoins de laquelle il subvenait chichement, grâce à la maigre solde que lui accordait, souventes fois avec plusieurs mois d’arriérés, son maître, le triste sire de Castelnaud de Beynac. Lorsqu’il fut contraint de le reconnaître, je jubilai en mon for intérieur.
À la chaude, celui qui fut en d’autres temps le fendant chevalier d’Auzan déclara, les larmes aux yeux, être dépourvu de toute fortune et ne pouvoir bailler le moindre écu, fut-ce au prix de sa vie, sa mère et ses sœurs vivant dans le plus extrême dénuement depuis la mort de son frère aîné à la bataille d’Auberoche.
Je lançai un coup d’œil à Guillaume de Lebestourac. Par un signe discret, il me fit comprendre que j’étais sur la bonne voie.
Je fis part au Gascon de mon intention d’envoyer un chevaucheur porter au sire de Castelnaud de Beynac notre demande de rançon. Dès que la réponse nous parviendrait, nous connaîtrions le prix que son maître accordait à sa vie et sa liberté.
Il s’insurgea, refusa tout de gob : plutôt passer les pieds outre, que de demander le moindre sol à son maître. Son orgueil de Gascon reprenait le dessus. Il nous convainquit (nous l’étions déjà) que son maître, de toute façon, ne lèverait pas le petit doigt pour obtenir son élargissement : le faire reviendrait à reconnaître son alliance avec les Godons. Or, il entendait laisser accroire qu’il respectait la stricte neutralité à laquelle il s’était engagé à l’issue de la bataille où il avait été capturé, près les faubourgs de la Madeleine, en la ville de Bergerac, à cinq jours des calendes d’août, le 27 juillet de l’an de disgrâce 1345.
Le vert était dans le fruit, mais le fruit n’était pas encore mûr. Guillaume de Lebestourac avait compris ma tactique. Je l’encourageai de l’œil et du chef à pousser l’avantage. Jouant parfaitement le jeu, il prit la relève et brandit le traité de paix que nous venions de signer.
Le fendant chevalier jura comme un charretier lorsque Guillaume de Lebestourac lui lut les conditions de la trêve dont nous étions convenus avec ses amis anglais. Avant de la lui plaquer sous le nez. Son visage se décomposa. Il n’y était fait aucune place aux Gascons ! Il tempêta, se révolta et… déclara renier à tout jamais le lien vassalique qui l’avait uni au triste sire :
« Ah ! Les
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