Le tribunal de l'ombre
Mais qui pourrait se poursuivre tant qu ’ ils ne seraient pas hors de pain et de pot.
Raymond de Carsac, chevalier bachelier que j ’ avais en grande estime, et Guillaume de Lebestourac, le ci-devant chevalier qui m ’ avait adoubé avec messire Gaucelme de Biran, nous firent l ’ honneur d ’ accepter chaleureusement d ’ être les compères de nos petiots lorsqu ’ ils seraient plongés dans les fonds baptismaux.
Jeanne, la mère de Marguerite, sollicitée en qualité de commère, se récusa sous le fallacieux prétexte d ’ être déjà en charge de l ’ intendance générale des lingeries du château. En revanche, Louise, une jolie amie de mon épouse, accepta de veiller sur Marie, en rougissant jusqu ’ aux oreilles qu ’ elle avait fines comme de la dentelle. La vicomtesse de Turenne, épouse de Guillaume de Beaufort, devant lequel j ’ avais prêté hommage, au nom de Marguerite, pour les terres de Rouffillac et de Braulen, et la baronne de Mareuil furent les commères des deux baptisés. De nobles dames qui se rendirent à la messe de baptême, plus par convenance que par piété, et que nous ne revîmes guère par la suite.
Dans le courant de l ’ été, je fis la connaissance d ’ Hélie de Pommiers, promu capitaine d ’ armes du château de Beynac. Froid comme un glaçon, l ’ homme était sec comme une verge, peu chaleureux, le nez long et cassé, les sourcils aussi clairsemés que les cheveux, les lèvres violacées et charnues, les joues et le front couverts de balèvres. Il avait très vite acquis la réputation d ’ un caractère forgé dans l ’ acier le mieux trempé, d ’ une grande vaillance au combat et d ’ une fidélité à toute épreuve.
Le chevalier Foulques de Montfort, qui l ’ avait soldé, en serait seul juge au fil du temps. Mais il l ’ avait choisi. Son choix ne pou va i t être que le bon.
E ntre les années 1349 et 1351, jouissant de la trêve que nous a vions signée avec Henri de Lancastre, je pus vaquer aux occu pat ions qui me revenaient pour administrer à morte-main le beau et riche domaine dont le baron de Beynac avait doté son héritière, mon épouse.
La maison de Reygnac fut mise à la disposition de Guillaume de L ebestourac qui se plaignait de se sentir trop à l ’ étroit dans la maison forte de ce lugubre village de Commarque. Il vivait à pot etàf eu de son union libre avec Anaïs, à la mode des hérétiques albigeois, profitant de l ’ humidité ambiante et des aisances de la maison pour se livrer discrètement à quelques menues folies en com pagnie d ’ icelle, m ’ avait-il confié dans le creux de l ’ oreille. Et dire qu ’ il était compère de mon fils Hugues ! Bel exemple pour c e pétiot que celui d ’ un tel parrain, regrettai-je trop tard, non sans pouvoir réprimer un sourire complaisant.
L’ écuyer qu ’ il avait gardé à sa solde avait renoncé au péché de sodomie pour se convertir à sa cause, en participant à des orgie s enflammées en compagnie de son maître, deux fois par semaine , pratiques qui cessaient à carême-prenant, pour reprendre dès le lundi de Pâques. Puissent les évêchés de Sarlat ou de Pierreguys n ’ en jamais ouïr les folles débauches.
L a rente dont ils jouissaient avait magnifiquement enflé depuis le versement des rançons que nous avions soustraites au comte de Derby et leur permettaient de royales prébendes qu ’ ils versaient plus volontiers dans le corsage de leurs ribaudes que dans le tronc des églises.
I l était vrai qu ’ à l ’ exception d ’ un ou deux chevaliers qui n ’ en avaient point encore baillé la soulte, les Anglais avaient tenu pa ro l e s. Les Gascons aussi. Libérés en ce temps-là sous condition de rallier le plus grand nombre des leurs aux lys de France, nos espions nous confirmèrent que de nombreux chevaliers gascons avaient refusé de prêter allégeance au prince Édouard et pressaient leurs compains à se soulever contre le Godon, qu ’ ils appelaient dorénavant, eux aussi, des Têtes de bûche.
Marguerite et moi avions convoqué tous les maîtres des corps de métier : tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, menuisiers, couvreurs, tisserands et un maître verrier venu de la ville impériale de Cologne. Nous avions fait appel à un ingénieur arménien, expert en l ’ art des fortifications castrales, pour rehauster les murs et le donjon du château de Rouffillac en bien piteux état.
Notre ingénieur, d ’ un
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