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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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Bozon de Beynac avait prévu une magnifique surprise pour couronner la fête et endormir la vigilance de la garnison de notre voisin de Castelnaud.
    Un maître artificier, instruit de la science que messire Marco Polo avait rapportée de son voyage en Chine, tira des fusées du haut du donjon de la forteresse. Elles firent long feu ou éclatèrent en une pluie d’étoiles filantes.
    L’apothéose se produisit lorsque les dernières fusées, plus puissantes que les autres, crevèrent les lourds nuages. Un déluge s’abattit sur la plaine, éteignit les derniers feux, ravina le sol qu’elle transforma en autant de gourds que de torrents de boue !
    Les danseurs s’éparpillèrent dans un désordre monstrueux, se bousculant, courant en tous sens, glissant, pataugeant dans la gadoue, s’étalant de tout leur long, s’accrochant les uns aux autres, se ruant à la recherche d’abris improvisés en piaillant comme volées de moineaux.

    « Mes beaux sires, nous nous rendrons, cette année, à la procession de Saint-Sacerdoce à Temniac après avoir fait rendre gorge à mon cousin Gaillard. Nous avons mis le siège devant son arrogant château – qu’à la grâce de Dieu, il ne le sache pas encore – et l’investirons demain, à l’aube. Nous souperons dans la grand’salle de son misérable donjon avant vêpres !
    « Nous ne pouvions compter sur les milices des consuls de Sarlat ou de la bastide royale du Mont-de-Domme : les langues se délient aisément et le secret aurait été éventé.
    « Mais qu’à cela ne tienne. Le plan que messire Brachet de Born vous a exposé ne présente aucune faille et je lui en fais beau compliment, bien mérité. Par le Sang-Dieu, la ruse et l’effet de surprise devraient jouer en notre faveur et nous éviter un siège long, incertain et toujours coûteux.
    « Car, voyez-vous, mes beaux sires, je suis aussi pleure-pain que mes ancêtres ! (Quelques ricanements et des sourires entendus ponctuèrent ces mots).
    « Et aussi économe de la vie de nos gens ! (De timides hochements du chef l’approuvèrent). Par Beynac ! Montjoie et Saint-Denis ! »
    Devant le plan de bataille étalé sur la table, une ultime veillée d’armes se déroula, ce soir-là, dans la salle des États du château de Beynac. Les quatre barons du Pierregord et leurs vassaux tenaient conseil dans la plus grande discrétion.
    Étaient présents les seigneurs de Montfort, de Castelnaud de Bretenoux, de Douzenac, Gilbert de Domme, Ébrard de la Roque, Pierre du Cagnac et ses frères, le sire de Salignac, Raymond de Saint-Rabier, Bertrand et Bernard de Casnac, Puycalvet, le père de notre écuyer Élastre, le seigneur de Théobon, Seguin de Gontaud, Raoul de Lafïère, Guiot Flamenc, Mondon et Ébles de Souillac, Gautier de Rouffignac et d’autres preux chevaliers fidèles au roi de France.
    Une seule dame était parmi nous : Marguerite.
     
    L’attaque du château voisin était prévue pour le lendemain, à l’aube. Les plans avaient été arrêtés de longue date. Nos troupes et nos engins, profitant de la diversion provoquée par le grand tournoiement, avaient fait route, chaque nuit, dans le plus grand silence et par petits groupes, se dissimulant tapis dans les bois des collines qui surplombaient la forteresse de Castelnaud au nord.
    Avec interdiction formelle d’affouer le moindre feu de camp. Sous peine de pendaison. Et d’aucuns avaient déjà appris à leurs dépens que le baron saurait se montrer impitoyable si ses ordres n’étaient pas suivis à la lettre. Trois gibets en témoignaient.
    De l’effet de surprise dépendait le succès de l’ingénieux plan que nous avions conçu. Ingénieux, mais fort risqué, pensais-je in petto.

    La veille, dans le silence feutré de la librairie du château de Beynac, j’avais brisé avec fébrilité les cachets de cire du pli que la princesse Échive de Lusignan avait confié au chevalier de Sidon.
    La pestilence avait sévi en l’île et décimé plus d’un tiers de la population, m’écrivait-elle. Par miracle, réfugiée à Kyrenia, elle avait échappé au terrible fléau. Son père avait fait ouvrir les portes des prisons pour enterrer les morts dans les fosses communes ou jeter les corps des pestilencieux sur des bûchers improvisés.
    Ses frères, Pierre et Jacques, avaient mis à profit le désordre qui en avait résulté pour rejoindre les royaumes chrétiens d’Occident. On était sans nouvelles d’iceux et l’on craignait

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