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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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et la nuit tombera dans trois ou quatre heures.
    — Que nenni, Mag’rite. J’accomplirai ce pèlerinage à pied et offrirai mes souffrances au Seigneur !
    — Messire Bertrand, êtes-vous sûr ? me demanda un des archers qui avait démonté, prêt à me hisser sur son cheval.
    — Bon, cela suffit, à la parfin ! Qui est le maître en ces lieux ?
    — L’évêque du Quercy. Et il vous enjoint obéissance, se rebuffa ma douce mie.
    — Je ne reçois d’ordre que de Dieu !
    — Vous péchez encore par orgueil, mon bel ami, et en serez divinement châtié si vous continuez à blasphémer. Votre devise n’est-elle pas «  in pace colomba, in bello leones  » ? Elle vous sied à merveille et le lion que vous êtes n’est point en guerre ici, alors soyez colombe, me suggéra-t-elle.
    — Vous faites erreur, ma Mie ! J’ai modifié incontinent et céans ma devise. Elle sera : «  pro Dei, pro Rege  » ! C’est peut-être regrettable, mais c’est ainsi !
    —  Pour Dieu et pour le Roi ? Je vois en ce surprenant changement plus d’adresse dialectique que de noblesse de votre part ! Vous pourrez ainsi justifier tous vos actes selon vos changements d’humeur. Je croyais qu’autrefois vous ne teniez à rien en ce monde mais vous confesse ce jour d’hui mon erreur. Vous voulez tout : Dieu et le Roi !
    — Pour les servir, ma Mie, pour les servir ! rétorquai-je mollement, en grimaçant et en me tenant les côtes.
    — Par Saint-Christophe, serions-nous tombés dans quelque embuscade, demanda René le Passeur, sautant de cheval, la main sur la poignée de son épée, prêt à desforer.
    — Non, René, not’maître a seulement chu sur un caillou. Il délire. Le sang échauffé a bouilli, a pénétré sa cervelle et l’a détruite, ironisa Marguerite.
    — Mais l’blessé respire encore, s’étonna René, le bec fendu d’un large sourire.
    — Les restes de la vie à l’approche de la mort ! Rien de plus. Il cessera bientôt de respirer, bouche ouverte, béant sur de rares chicots jaunis par une trop rare pratique du frottement des gencives et un trop fort appétit pour les viandes », se gaussa-t-elle en bombant la poitrine et en cambrant les reins.
    J’eusse dû rugir, mais ne pus que lâcher un juron et un éclat de rire qui me brisa la spondille plus sûrement que le rocher sur lequel j’avais trébuché m’avait brisé les côtes.
    Je regrettai que Clic et Clac, mes deux dogues, ne nous aient pas accompagnés. Ils auraient soigné mes navrures à grands coups de langue chaude et râpeuse. Ma mie en avait décidé autrement : un pèlerinage s’accomplissait sans jappement. Nos seules pensées devaient être dirigées vers Dieu et la Vierge Marie, avait-elle tranché.
     
    Je réussis à poursuivre notre voyage et à escalader la sente qui surplombait la vallée de l’Ouysse. Les pieds bardés de linge, les cloques crevées, les côtes jusqu’alors fêlées, assurément brisées à présent.
    L’air était chaud. Nous franchîmes à grand arroi de peines un col où trônait une croix occitane gravée de la coquille de Saint-Jacques de Compostelle, laissant à notre dextre la vallée de l’Ouysse pour descendre vers les gorges de l’Alzou où l’incroyable cité fortifiée était agrippée à la falaise du causse.
    Son élévation, d’une hardiesse invraisemblable, était un véritable défi à la vertigine pour tous ceux qui avaient contribué à sa construction. Dans le modeste sanctuaire primitivement dédié à la Vierge depuis des temps immémoriaux, la cité mariale de Roc-Amadour était connue pour abriter, entre autres trésors, le corps de saint Amadour, découvert intact en l’an de grâce 1166, devant rentrée de la chapelle miraculeuse. Une ancienne et belle croyance, toujours vivace, affirmait que la cloche sonnait à chaque fois qu ’ un marin, en grande détresse, priait la Vierge de Roc-Amadour de venir à son secours.
     
    Ce bon René se tenait à mes côtés, prêt à parer à la moindre défaillance de son maître. Mes narines baignaient dans les relents de sa suance rouquine, plus ou moins forts au gré de notre cheminement. Pas un souffle d ’ air. Pas de légère brise.
    Marguerite n ’ en était pas incommodée. Elle trottinait d ’ un pas alerte, chantant à tue-tête des hymnes à la gloire du Seigneur. Un quart de lieu plus avant. Je tentai d ’ augmenter l ’ allure. Peine perdue.
    Avec grand soulagement lorsque nous atteignîmes

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