Le tribunal de l'ombre
les bords de l ’ Alzou, je plongeai mes membres fourbus dans l ’ eau fraîche de la rivière et faillis bien m ’ endormir sous le gazouillis des oiseaux et le bruissement de l ’ eau sur les pierres. René me tira sans ménagement de ma torpeur et je dus me résigner à me hisser sur le dos de Serpentin, entre deux bissacs, pour gravir la sente qui menait, tout en haut, à la Voie Sainte par la porte du Figuier.
J ’ avais fière allure ainsi pour remonter la Grand ’ Rue en cet équipage, porté par un âne que je chevauchais à la façon d ’ une femme montant une haquenée ou un baudet !
L ’ hôpital Saint-Jean accueillait les gens du Voyage. Je m ’ y rendis sans tarder, sans prendre le temps d ’ admirer la vue splendide sur les gorges, la cité religieuse et le château qui baignaient dans la lumière dorée du soleil couchant. Je m ’ effondrai tout habillé dans un grand baquet fumant qui fleurait bon la crasse de ceux qui m ’ y avaient précédé.
Une heure plus tard, je renonçai à l ’ idée de m ’ allonger incontinent sur l ’ une des paillasses à sept ou huit places mises à notre disposition, en raison de mon « fort appétit pour les viandes ».
Le lendemain matin, le jour de la Fête-Dieu, le cœur battant la chamade, nous gravîmes les deux cent seize marches qui menaient aux sept églises et aux douze chapelles, et récitâmes, à genoux sur chacune, un « Pater noster » et un « Je vous salue M ar ie » en souvenance de notre saint roi Louis qui avait fait ce pèlerinage deux fois au cours du siècle passé.
René le Passeur voulut gravir les marches à cheval. Nous l ’ en dissuadâmes, eu égard à la sainteté des lieux. Ne voulant nous qui tter d ’ une semelle alors que la cité était forte d ’ une solide garnison et qu ’ aucune friponnerie n ’ était à craindre, il se résigna à singer nos génuflexions en grimpant les marches à la façon d ’ un canard, un genou en avant, l ’ autre en arrière. Puis un genou sur la marche supérieure, l ’ autre en appui sur la marche inférieure.
À bout de souffle, j ’ atteignis le parvis de la chapelle magnifiquement décoré de fresques représentant l ’ Annonciation et la Visitation.
Un nombre considérable de pèlerins était déjà rassemblé d evant le portail flamboyant de la chapelle Notre-Dame pour rec evoir les sacrements de la pénitence et de la communion qui valaient indulgence plénière à perpétuité. J ’ épongeai mon front a vec le linge de soie que la princesse Échive de Lusignan avait fai t broder par ses lingères. Discrètement. Pour que ma tendre mi e ne le voie pas.
L ’ odeur de bouc qu ’ exsudaient nos corps, la veille, était moins forte sous nos bliauds de lin.
Durandal, l ’ épée de Roland le Preux, était toujours enfoncée a u tiers de sa lame dans le roc qui surplombait la chapelle de la Vierge. Car ce n ’ était point une légende. Quoique, quoiqu ... la lam e, la garde et le pommeau me semblaient bien conservés depuis cinq siècles, sur ce roc humide où de nombreux écoulements suintaient par de multiples anfractuosité s...
Miracle de la Vierge ou main de l ’ homme ? J ’ inclinai plus volontiers pour l ’ avidité des marchands du temple qui veillaient, à le ur façon, à entretenir les légendes qui faisaient le renom de ces hauts lieux de pèlerinage.
En rétribuant, à l ’ occasion, les talents de quelque forgeron. Peu me challait au fond et peu importait le fer. L ’ esprit de Roland planait sur le parvis. N ’ était-ce pas l ’ essentiel ?
Nous prîmes messe et communion à la basilique Saint-Sauveur en compagnie des trois jeunes gentilshommes qui, selon la légende, auraient été interpellés dans un cimetière par trois défunts qui leur auraient rappelé la brièveté de la vie et l ’ importance du salut de leur âme ...
Après l ’ office, Marguerite déambula dans la Grand ’ Rue, dans la rue de la Couronnerie, dans le vieux Coustalou et ailleurs, à la recherche de sportelles représentant la Vierge en majesté avec l ’ Enfant Jésus sur le genou. Depuis peu, chaque quartier était défendu par l ’ une des onze portes fortifiées destinées à protéger la cité, les sanctuaires et les reliques de l ’ attaque des routiers. Et à filtrer et canaliser le flot des pèlerins. De sorte que certaines portes furent fermées et d ’ autres, ouvertes. Ne pouvant allonger l ’ allure, je
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