Le Troisième Reich, T1
celui-ci était différent. Hitler déclara d’abord que « ces
gens lui étaient totalement inconnus ». Ce qui était inexact pour l’un au
moins des hommes qui allaient prendre la parole à la prochaine réunion du parti
en question.
Quelques semaines plus tôt, à l’occasion d’une séance d’instruction,
il avait assisté à la conférence d’un nommé Gottfried Feder, ingénieur de son
métier et autodidacte illuminé en économie politique. Auteur d’une théorie qui
avait tourné à l’obsession, Feder rendait le capital « spéculatif » (par
opposition au capital « créateur et producteur ») responsable de la
plupart des maux, d’ordre matériel, dont souffrait l’Allemagne. Préconisant la
suppression du premier, il avait dès 1917 créé la Ligue allemande de combat
contre l’Esclavage capitaliste. Hitler, ignorant tout des problèmes économiques,
fut très impressionné ; le plaidoyer de Feder pour le « combat contre
l’esclavage capitaliste » lui apparaissait comme « l’une des bases
essentielles de la fondation d’un nouveau parti ». En même temps, il « pressentait
qu’il y avait là un slogan percutant, outil précieux dans la lutte qui allait
se livrer (9) ».
Au début, il n’éprouva nul intérêt pour le Parti ouvrier
allemand. S’étant rendu par obéissance à la réunion qui rassembla quelque
vingt-cinq personnes dans une cave obscure de la brasserie Sterneckerbräu, il n’en
retira d’abord qu’une impression de morne ennui ; c’était une « organisation
de plus parmi tant d’autres ». A cette époque, tout individu mécontent… se
croyait obligé… de fonder un nouveau parti. Partout, ces organisations
sortaient de terre, pour bientôt disparaître silencieusement. A mon sens, le
Parti ouvrier allemand était promis au même sort (10).
Après que Feder eut fini de parler, Hitler se disposait à partir,
quand surgit un « professeur » qui attaqua les arguments de Feder et
proposa que la Bavière, rompant ses liens avec la Prusse, s’unît à l’Autriche
pour fonder une nation sud-allemande. Cette tendance était alors assez répandue
à Munich ; mais Hitler, furieux de l’entendre exprimer se leva pour dire
sa façon de penser à « ce monsieur si bien informé », comme il l’a
raconté. Il le fit en termes si violents que, toujours selon lui, le « professeur »
quitta la salle « comme un barbet sortant de l’eau », tandis que les
assistants contemplaient le jeune orateur inconnu, « l’étonnement peint
sur leurs visages ». Un homme dont Hitler déclare n’avoir pas saisi le nom,
accourut et lui glissa une brochure dans la main.
L’homme était un serrurier nommé Anton Drexler ; on peut
dire qu’il fut le vrai fondateur du national-socialisme. Individu maladif, portant
lunettes, sans instruction régulière, d’esprit indépendant, mais étroit et
confus, piètre écrivain, orateur pire encore, Drexler travaillait alors aux
ateliers ferroviaires de Munich. Le 7 mars 1918, il avait institué un « Comité
des Ouvriers indépendants », afin de combattre le marxisme des syndicats
et de créer une agitation en faveur d’une paix « juste » pour l’Allemagne.
En fait, c’était une branche d’un mouvement plus vaste, fondé en Allemagne
septentrionale sous le titre d’Association pour l’Établissement d’une Paix
conforme aux Principes des Classes laborieuses. (Le pays fourmillait alors de
petits groupes actifs qui arboraient des noms ronflants, et ce grouillement ne
cessa qu’en 1933.)
Drexler ne recruta jamais plus de quarante adhérents. En janvier
1919, il fit fusionner son comité avec un groupe analogue, le Cercle politique
ouvrier, dirigé par Karl Harrer, un reporter. La nouvelle organisation, dont l’effectif
n’atteignait pas la centaine, s’appela Parti ouvrier allemand, et Harrer fut
son premier président. Hitler, qui ne parle guère dans Mein Kampf de
certains de ses premiers camarades dont les noms sont oubliés aujourd’hui, loue
Harrer d’être « honnête » et « sans nul doute pourvu d’une vaste
culture », mais regrette que le « don d’éloquence » lui ait fait
défaut. Peut-être le meilleur titre d’Harrer à une renommée passagère est-il d’avoir
obstinément prétendu qu’Hitler était un méchant orateur, appréciation qui a
toujours vexé le chef nazi, comme il le montre dans son autobiographie. En tout
cas, c’est Drexler qui semble avoir été la
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