Le Troisième Reich, T1
fondèrent le
national socialisme, jetant sans le savoir les bases d’un mouvement qui allait
emporter dans son sillage le pays le plus fort de l’Europe. Le noyau en fut
apporté par Drexler, serrurier à l’intelligence brumeuse ; l’assise « spirituelle »
– partiellement – par le poète ivrogne Eckart ; ce qui passait pour une
idéologie par Feder visionnaire en matière d’économie ; l’appui de l’armée
et des vétérans, par l’homosexuel Rœhm ; mais ensuite ce fut Hitler
ex-vagabond âgé de trente ans et totalement inconnu, qui prit en main ce club d’arrière-boutique
et le transforma en ce qui serait bientôt un parti politique formidable.
Toutes les idées qui bouillonnaient dans sa tête depuis les
faméliques et solitaires journées de Vienne trouvèrent alors une forme plus
concrète et suscitèrent en lui une énergie que rien dans sa formation n’avait
permis de déceler. Il décida les membres timorés de son comité à organiser des
réunions plus vastes, pour lesquelles il rédigea et distribua lui-même les
invitations. Plus tard, il a expliqué comment, une fois, après en avoir envoyé
quatre-vingts, « nous attendîmes l’arrivée des masses qui devaient faire
leur apparition. Au bout d’une heure de retard, le « président »
ouvrit « la séance ». Nous n’étions toujours que sept, les mêmes sept
(16). » Mais Hitler ne se laissa pas décourager. Il augmenta le nombre des
invitations en les faisant faire au stencil. Il recueillit quelques marks pour
publier l’annonce d’une réunion dans un journal local. « Le succès, dit-il,
fut positivement extraordinaire. Cent onze personnes se présentèrent. »
Il devait y prononcer son premier « discours » public,
après l’allocution d’un « professeur de Munich » ; mais Harrer, chef
nominal du parti, éleva des objections. Hitler le raconte : « Ce
monsieur, qui sous d’autres rapports était certainement honnête, se déclara
convaincu que j’étais capable de faire diverses choses, mais assurément pas de
parler. Or, je parlai pendant trente minutes ; et ce que jusqu’alors j’avais
simplement senti en moi, mais inconsciemment, fut confirmé par le fait lui-même :
je savais parler (17) ! » Hitler prétend que l’auditoire fut « électrisé »
par son éloquence et qu’il exprima son enthousiasme par des dons se montant à
trois cents marks, somme qui pour un temps délivra le parti de ses soucis
financiers.
Au début de 1920, Hitler prit en main les questions de
propagande, l’une de ses grandes préoccupations depuis qu’il avait constaté
leur importance chez les socialistes et les socialistes chrétiens de Vienne. Il
commença tout de suite par organiser un meeting, de loin le plus important qu’eût
jamais rêvé de tenir un groupe aussi pitoyablement restreint que le sien. La
date choisie fut le 24 février 1920, et le lieu, la salle des fêtes de la
célèbre Hofbräuhaus, qui pouvait contenir près de deux mille personnes. Ses
collègues au comité le crurent fou. Harrer démissionna en manière de
protestation et fut remplacé par Drexler, qui demeura sceptique [18] .
Hitler insiste sur le fait qu’il dirigea personnellement les préparatifs. L’événement
lui parut même d’une importance telle qu’il termine par sa description le
premier volume de Mein Kampf , car, explique-t-il, ce fut à cette
occasion que « le parti fit éclater son étroite enveloppe de petit club et,
pour la première fois, exerça une influence déterminante sur le facteur le plus
puissant de notre époque : l’opinion publique ».
Hitler n’était pas annoncé comme orateur principal. Ce rôle
fut dévolu à un certain docteur Johannes Dingfelder, médecin homéopathe, sorte
de toqué qui envoyait des articles d’économie politique aux journaux sous le
pseudonyme « Germanus Agricola » et qui n’allait pas tarder à sombrer
dans l’oubli. La salle l’écouta dans un morne silence. Puis Hitler prit la
parole ; voici comment il raconte la scène :
Il y eut un tumulte de cris et de violentes altercations
dans la salle. Une poignée des vétérans les plus fidèles, avec quelques autres camarades,
se battirent contre les perturbateurs… communistes et socialistes, peu à peu
seulement, ils parvinrent à rétablir l’ordre. Je pus donc continuer à parler. Au
bout d’une demi-heure, les bravos commencèrent couvrir les hurlements. Lorsque,
presque quatre heures plus
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