Le Troisième Reich, T1
patience avait pourtant des limites.
A ce moment, il interrompit Hitler pour dire : « Si le Führer était résolu à
régler cette question par la force sans même attendre que nous en discutions
ensemble, alors pourquoi m'a-t-il laissé venir? J'ai perdu mon temps. »
Le dictateur allemand n'était pas habitué à se voir ainsi couper
la parole — aucun Allemand ne s'y serait risqué à l'époque —, et la réplique de
Chamberlain sembla avoir atteint le but. Il se calma. Peut-être serait-il bon
maintenant, dit-il, « de se rendre compte si un règlement pacifique n'était pas
encore possible après tout ». Puis il lança brusquement sa proposition :
La Grande-Bretagne consentirait-elle ou non à la cession au
Reich de la région des Sudètes... cession basée sur le droit à
l'autodétermination ?
La proposition ne choqua pas Chamberlain. Il exprima même sa
satisfaction de voir « qu'ils en étaient maintenant venus au fond du problème
». D'après le récit fait de mémoire par Chamberlain lui-même, il répondit qu'il
ne pouvait s'engager avant d'avoir consulté son cabinet et le gouvernement
français. D'après la version de Schmidt établie d'après ses notes
sténographiées, tandis qu'il servait d'interprète, Chamberlain aurait bien tenu
ce propos, mais il aurait ajouté :
Que personnellement il déclarait reconnaître le principe du
détachement de la région des Sudètes... Il désirait retourner en Angleterre
pour rendre compte de sa mission aux membres du gouvernement et obtenir leur
approbation au sujet de son attitude personnelle.
Toute la suite des événements devait découler de cette
abdication de Chamberlain à Berchtesgaden. Il est bien évident qu'elle ne
surprit pas les Allemands. Au moment même où se tenait la rencontre de Berchtesgaden, Henlein écrivait à Hitler une lettre secrète,
rédigée à Eger, le 15 septembre, juste avant de passer la frontière pour se
réfugier en Allemagne :
Mon Führer,
J'ai informé hier la délégation britannique (Runciman) que
de nouvelles négociations ne pourraient être basées... que sur le principe de la
réunion au Reich des districts sudètes. Il est probable que Chamberlain
proposera cette réunion (44).
Le lendemain 16 septembre, le ministre des Affaires
étrangères allemand adressa des dépêches confidentielles à ses ambassadeurs à
Washington et dans plusieurs autres capitales.
Le Führer a dit à Chamberlain qu'il était définitivement résolu
à mettre fin d'une manière ou d'une autre à la situation intolérable qui règne
dans les Sudètes et cela dans les délais les plus brefs. Il ne s'agit plus
désormais d'accorder leur autonomie aux Allemands des Sudètes, mais uniquement
de réunir cette région à l'Allemagne. Chamberlain a donné son approbation
personnelle. Il consulte en ce moment le cabinet britannique et est en
communication avec Paris. Une nouvelle rencontre entre le Führer et Chamberlain
est envisagée dans un avenir très proche (45).
Vers la fin de la conférence, Chamberlain avait obtenu d'Hitler
la promesse qu'il ne prendrait aucune mesure militaire jusqu'à ce qu'ils aient
eu ensemble une nouvelle entrevue. A cette époque, le Premier ministre avait
grande confiance dans la parole du Führer et il déclara en
privé un jour ou deux plus tard : « En dépit de la dureté et de la cruauté
qu'il me sembla lire sur son visage, j'eus l'impression que c'était un homme
sur qui l'on pouvait compter quand il avait donné sa parole (46). »
Tandis que le chef du gouvernement britannique nourrissait ces
illusions réconfortantes, Hitler poursuivait ses plans militaires et politiques
pour l'invasion de la Tchécoslovaquie. Le colonel Jodl, au nom de l'O.K.W.,
élaborait avec le ministère de la Propagande ce qu'il a appelé dans son journal
« des préparatifs combinés pour réfuter nos violations de la loi internationale
». La guerre serait durement menée, du moins par les Allemands, et le docteur Goebbels était chargé de justifier les excès nazis. Le plan de
sa campagne de mensonges fut établi en grand détail (47). Le 17 septembre,
Hitler désignait un officier d'état-major de l'O.K.W. pour aider Henlein (qui
avait alors établi son nouveau quartier général dans un château situé à
Dondorf, aux portes de Bayreuth) à organiser le corps franc des Sudètes. Cette
troupe devait être munie d'armes autrichiennes et était chargée par le Führer
d'entretenir « des désordres et des bagarres »
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