Le Troisième Reich, T1
que
les deux gouvernements feraient à nouveau pression sur Prague. Il fallait
prévenir les Tchèques que, s'ils résistaient, ils ne pourraient compter ni sur
l'aide de la France ni sur celle de la Grande-Bretagne.
A ce moment, le président Benès comprit qu'il était abandonné
par ses soi-disant amis. Il fit un dernier effort pour rallier du moins la
France à sa cause. Le 20, peu après huit heures du soir, il chargea le docteur
Krofta de poser à Lacroix la question vitale : « La France ferait-elle honneur
à sa parole en cas d'attaque allemande ou bien s'abstiendrait-elle? » Le 21 septembre
à deux heures quinze du matin, Newton et Lacroix firent lever Benès en pleine
nuit; ils lui enjoignirent de retirer sa note de refus et déclarèrent que, s'il
n'y consentait pas et si les propositions anglo-françaises n'étaient pas
acceptées, la Tchécoslovaquie devrait se battre seule contre l'Allemagne. Le
président demanda au ministre français de formuler cette communication par
écrit. Sans doute avait-il déjà renoncé à la lutte, mais il songeait à
l'histoire [119] .
Pendant toute la journée du lendemain, 21 septembre, Benès,
malade de fatigue et d'insomnie, accablé par la traîtrise de ses amis et par la
perspective du désastre, réunit autour de lui son cabinet, les chefs de parti
et le haut commandement de l'armée pour délibérer avec eux. Tous ces hommes
avaient fait preuve de courage en face des menaces de l'ennemi, mais, en
présence de l'abandon de leurs amis et alliés, ils commençaient à fléchir. Et
la Russie? Le commissaire soviétique aux Affaires étrangères, Litvinov,
prononça justement le même jour, à Genève, un discours où il renouvelait
l'assurance que l'Union Soviétique observerait le traité qui la liait à la
Tchécoslovaquie. Benès convoqua l'ambassadeur de Russie à Prague, qui confirma
les propos de son ministre des Affaires étrangères. Mais les malheureux
Tchèques comprirent que le pacte conclu par eux avec la Russie obligeait les
Soviets à leur venir en aide, à condition que la France en fît autant.
Or, la France avait renié sa parole.
Tard dans l'après-midi du 21 septembre, le gouvernement tchèque
capitulait et acceptait le plan anglo-français. « Nous n'avions pas le choix
puisqu'on nous abandonnait », expliquait amèrement un communiqué du
gouvernement. Dans le privé, Benès s'exprimait en termes plus brefs : « Nous
avons été lâchement trahis. » Le lendemain, le cabinet démissionnait et le
général Jan Sirovy, inspecteur général de l'armée, devenait le chef d'un «
nouveau gouvernement de concentration nationale ».
CHAMBERLAIN A GODESBERG:
22-23 SEPTEMBRE
Chamberlain apportait à Hitler tout ce que celui-ci lui avait
demandé lors de la rencontre de Berchtesgaden. Cependant les deux hommes
étaient mal à l'aise quand ils se rencontrèrent dans la petite ville rhénane de
Godesberg dans l'après-midi du 22 septembre. Le chargé d'affaires allemand,
après avoir accompagné le Premier ministre à l'aéroport de Londres, avait
aussitôt télégraphié à Berlin : « Chamberlain et sa suite sont partis pleins
d'inquiétude... De toute évidence, l'opposition à la politique de Chamberlain
ne cesse de croître. »
Hitler était dans un état de nervosité extrême. Le matin du 22,
je prenais le petit déjeuner sur la terrasse de l'Hôtel Dreesen , où
devaient avoir lieu les consultations, quand Hitler passa, marchant à grandes
enjambées, pour aller inspecter son yacht amarré au bord du fleuve. Il me parut
agité d'un tic nerveux. A chaque instant, son épaule droite se soulevait d'un
geste mécanique, tandis que sa jambe gauche se détendait d'une saccade. Il
avait les yeux affreusement cernés de noir.
Ainsi que je le notai le soir dans mon journal, il semblait au
bord de la dépression nerveuse : « Teppichfresser ! » murmura mon
compagnon allemand, un directeur de journal qui détestait secrètement les
nazis. Et il me raconta que, depuis quelques jours, Hitler était dans un tel
état de frénésie, à cause de l'affaire tchèque, que, plus d'une fois, il avait
perdu tout empire sur soi, se jetant sur le sol et mâchant le bord d'un tapis.
D'où l'expression « Mangeur de tapis ». La veille au soir, à l'Hôtel Dreesen,
au cours d'une conversation avec quelques plumitifs aux ordres du parti,
j'avais entendu cette expression appliquée au Führer — à voix basse, bien sûr
(50).
Malgré les inquiétudes que lui causait
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