Le Troisième Reich, T1
le début d'un long discours décousu, qui semblerait
incroyable dans la bouche d'un Premier Ministre britannique, même quand l'on
sait que la veille il avait capitulé honteusement devant le dictateur allemand,
si ce texte n'avait été transcrit par le docteur Schmidt dans un mémorandum
officiel. Aujourd'hui même, en lisant ce document, on n'en croit pas ses yeux.
Mais ce n'était là qu'un prélude à ce qui allait suivre. Après
un exposé qui dut paraître interminable au morose dictateur et dans lequel
Chamberlain lui proposa de coopérer à nouveau avec lui pour mettre fin à la
guerre civile en Espagne (où les « volontaires » allemands et italiens étaient
en train d'assurer la victoire de Franco), pour faciliter le désarmement,
promouvoir la prospérité économique dans le monde, favoriser l'établissement de
la paix politique en Europe et même hâter la solution du problème russe, le
Premier Ministre tira de sa poche une feuille de papier sur laquelle il avait
rédigé une déclaration. Il espérait, dit-il, qu'ils allaient tous deux la
signer et la rendre publique immédiatement :
Nous, Führer, chancelier d'Allemagne, et Premier Ministre
de Grande-Bretagne, à la suite d'un nouvel entretien que nous avons eu
aujourd'hui, sommes d'accord pour reconnaître que la question des relations
anglo-allemandes revêt pour les deux pays et pour l'Europe une importance
primordiale.
Nous considérons l'accord signé hier soir et l'accord naval
anglo-allemand comme les symboles du désir de nos deux peuples de ne jamais
entrer à nouveau en guerre l'un contre l'autre.
Nous avons décidé que ce même système de consultation sera
adopté pour traiter toute autre question pouvant intéresser nos deux pays et
nous sommes résolus à poursuivre nos efforts pour supprimer toute les causes
possibles du désaccord et contribuer ainsi à maintenir la paix en Europe.
Hitler lut cette déclaration et la signa aussitôt, à la vive
satisfaction de Chamberlain, nota Schmidt dans son rapport
officiel. L'interprète eut l'impression que le Führer acceptait
« avec assez peu d'empressement.... uniquement pour faire plaisir à Chamberlain
», qui, raconta-t-il plus loin, « remercia chaleureusement le Führer... et insista sur le grand effet psychologique qu'il attendait de ce document
».
Le Premier Ministre s'était laissé abuser. Il ignorait, bien sûr
— ce que devaient révéler beaucoup plus tard les documents secrets allemands et
italiens — qu'Hitler et Mussolini avaient déjà décidé, justement à l'occasion
de leur rencontre à Munich, que, le jour venu, ils combattraient côte à côte la
Grande-Bretagne. Et, nous le verrons bientôt, il ne soupçonna rien non plus des
nombreux projets qui déjà mûrissaient dans l'esprit pervers du dictateur (88).
De même que Daladier à Paris, Chamberlain revint à Londres en
triomphateur. Brandissant la déclaration qu'il avait signée conjointement avec
Hitler, le Premier Ministre, radieux, se trouva en présence d'une foule énorme
qui se pressait dans Downing Street. Après avoir écouté les gens crier : « Bon
vieux Neville! » et chanter à pleine gorge : « For he's a jolly good fellow », Chamberlain, souriant, prononça quelques paroles du haut d'une fenêtre du
second étage.
« Mes chers amis, dit-il, pour la seconde fois dans notre
histoire la paix dans l'honneur a été rapportée d'Allemagne à Downing Street [139] .
Je crois que, cette fois, c'est la paix notre vie durant. »
Le Times déclara que « jamais conquérant à la suite d'une
victoire remportée sur un champ de bataille n'était revenu paré de plus nobles
lauriers ». L'idée fut spontanément lancée de la création d'un « Fonds national
de reconnaissance » en l'honneur de Chamberlain, qui d'ailleurs refusa
aimablement. Seul Duff Cooper, le premier lord de l'Amirauté, donna sa
démission de membre du cabinet et, au cours du débat qui s'ouvrit peu après aux
Communes, quand Winston Churchill, qui à l'époque prêchait encore dans le
désert, prononça ces paroles mémorables : « Nous avons essuyé une défaite
totale et absolue », il dut s'arrêter, comme il l'a raconté plus tard, jusqu'à
ce que se fût apaisée la tempête de protestations soulevée par sa déclaration.
A Prague, l'atmosphère était, bien entendu, fort différente. Le
30 septembre, à six heures du matin, le chargé d'affaires allemand avait tiré
de son lit le ministre des Affaires étrangères tchèque,
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