Le Troisième Reich, T1
Tchécoslovaquie le 1er octobre, comme Hitler
l'avait toujours dit, et achèverait l'occupation des Sudètes le 10 octobre.
Hitler obtenait ce qui lui avait été refusé à Godesberg.
Restait la pénible tâche — pénible du moins pour les victimes —
d'informer les Tchèques des sacrifices qu'il leur fallait consentir et du bref
délai qui leur était accordé. Cette partie de la cérémonie ne concernait pas
Hitler et Mussolini, qui se retirèrent, laissant ce soin aux représentants des
alliés de la Tchécoslovaquie, la France et la Grande-Bretagne. La scène a été
décrite de façon extrêmement vivante par Masaryk dans son rapport officiel aux
Affaires Étrangères tchèques.
A treize heures trente, nous fûmes introduits dans la salle
où s'était tenue la conférence. Étaient présents M. Chamberlain, M. Daladier,
Sir Horace Wilson, M. Léger (secrétaire général au ministère des Affaires
étrangères), M. Ashton-Gwatkin, le Dr Mastny et moi-même. L'atmosphère était lourde
d'angoisse : la sentence allait être rendue. Les Français, visiblement nerveux,
semblaient anxieux de conserver le prestige de leur pays devant le tribunal.
Dans un long discours préliminaire, M. Chamberlain fit allusion à l'accord et
en remit le texte au docteur Mastny [138] .
Les Tchèques entreprirent de poser quelques questions, mais :
M. Chamberlain ne cessait de bâiller, sans faire le moindre
effort pour dissimuler ses bâillements. Je demandai à MM. Daladier et Léger
s'ils attendaient de notre gouvernement une déclaration ou une réponse à
l'accord. M. Daladier était visiblement nerveux. M. Léger répondit que les
quatre hommes d'État ne disposaient que de peu de temps. Il ajouta vivement, et
non sans désinvolture, qu'aucune réponse ne nous était d'ailleurs demandée, que
les participants considéraient le projet comme accepté, que notre gouvernement
devait envoyer son représentant à Berlin le jour même, à quinze heures au plus
tard, pour assister à la séance de la commission, enfin que l'officier tchécoslovaque
désigné à cet effet devrait être à Berlin samedi pour régler les détails de
l'évacuation de la première zone. L'atmosphère, dit-il, commençait à devenir
dangereuse pour le monde entier.
Il nous parla sur un ton fort brusque. C'était un
Français... M. Chamberlain ne cachait pas sa lassitude. Ils nous remirent une
seconde carte légèrement corrigée. Puis ils en finirent avec nous et nous pûmes
partir (86).
Parmi les souvenirs que j'ai conservés de cette nuit fatale, je
me rappelle la lueur de triomphe qui brillait dans les yeux d'Hitler tandis
qu'il descendait d'un pas solennel les larges degrés du Führerhaus, à l'issue
de la réunion, l'air suffisant de Mussolini sanglé dans son uniforme de la
milice, les bâillements de Chamberlain, engourdi de sommeil, tandis qu'il
retournait au Regina Palace Hôtel .
Daladier, écrivais-je ce soir-là dans mon journal, semblait
complètement accablé. Il se rendit au Regina Palace pour prendre congé de
Chamberlain... Quelqu'un lui demanda ou plutôt entreprit de lui demander : «
Monsieur le président, êtes-vous satisfait de l'accord ? » Il se détourna comme
pour répondre, mais il était trop fatigué et trop effondré : les mots lui
manquèrent et il franchit la porte en silence, d'un pas mal assuré (87).
Chamberlain n'avait pas encore fini de conférer avec Hitler au
sujet de la paix du monde. Au début de la matinée du 30 septembre, reposé par
quelques heures de sommeil et satisfait de ses travaux de la veille, il alla
trouver le Führer dans son appartement pour discuter à nouveau la situation
européenne et obtenir une petite concession qui, semble-t-il avoir cru,
renforcerait sa situation politique dans son pays.
Selon le docteur Schmidt, qui servait d'interprète et fut
l'unique témoin de cette rencontre inattendue, Hitler était pâle et maussade.
Il écouta d'un air absent les propos que lui tenait l'exubérant chef du
gouvernement britannique. Il comptait bien, déclara-t-il au Führer, que
l'Allemagne « adopterait une attitude généreuse en ce qui concernait
l'application des accords de Munich », et il manifesta à nouveau l'espoir que
les Tchèques « seraient assez raisonnables pour ne pas créer de difficultés »,
mais que, dans le cas contraire, Hitler ne bombarderait pas Prague, « car cela
ne manquerait pas d'entraîner de terribles pertes dans la population civile ».
Mais ce n'était là que
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