Le Troisième Reich, T1
moyens nécessaires pour percer les fortifications
tchèques; si l'Allemagne, en face de la force écrasante de la France à l'ouest,
se trouvait dans une situation « militairement impossible »; étant donné,
d'autre part, qu'il existait, nous l'avons vu, de si graves dissentiments entre
les généraux et le Führer que le chef d'état-major général de l'armée était
prêt à renverser Hitler pour éviter une guerre perdue d'avance, comment se
fait-il que les états-majors généraux français et britannique n'en aient rien
su ?
Ou bien le savaient-ils ? Et, s'ils le savaient, comment les
chefs de gouvernement, en Grande-Bretagne et en France, purent-ils être forcés
de sacrifier dans une aussi large mesure les intérêts vitaux de leurs pays? En
cherchant la réponse à ces questions, nous nous heurtons à l'un des mystères
qui enveloppent l'affaire de Munich et dont plusieurs n'ont pas encore été
éclaircis. Churchill lui-même, qui attache toujours tant d'importance aux
facteurs d'ordre militaire, y fait à peine allusion dans ses épais mémoires.
Il est inconcevable que les états-majors généraux britannique et
français, ainsi que les gouvernements des deux pays, aient ignoré que
l'état-major général allemand était opposé à une guerre européenne. Car, nous
l'avons déjà noté ici, les conspirateurs de Berlin en avaient averti les
Britanniques, par quatre voies différentes au moins, en août et en septembre,
et, nous le savons, la chose était venue aux oreilles de Chamberlain lui-même.
Dès le début de septembre, Paris et Londres furent certainement informés de la
démission du général Beck et des conséquences évidentes qu'allait avoir pour
l'armée allemande la rébellion de son chef le plus éminent et le plus brillant.
Il était généralement admis à Berlin, à cette époque, que les
services des renseignements militaires britannique et français fonctionnaient
assez bien. Aussi, est-il extrêmement difficile de croire qu'à Londres et à
Paris les chefs militaires ne connaissaient pas les faiblesses évidentes de
l'armée et de l'aviation allemandes et ignoraient qu'elles étaient dans
l'incapacité de mener une guerre sur deux fronts. Comment le chef d'état-major
de l'armée française, le général Gamelin, en dépit de sa prudence innée, qui
était prodigieuse, n'aurait-il pas su qu'avec des effectifs formant près de 100
divisions il pouvait anéantir les 5 divisions régulières et les 7 divisions de
réserve dont disposaient les Allemands à l'ouest et pénétrer rapidement, sans
difficultés, jusqu'au cœur de l'Allemagne?
Au fond, comme il l'a écrit par la suite (94), Gamelin n'avait
guère de doutes à ce sujet. Le 12 septembre, le jour où Hitler se répandait en
violentes menaces contre la Tchécoslovaquie, à la séance de clôture du congrès
de Nuremberg, le généralissime français avait assuré le président Daladier que,
si la guerre éclatait, « les nations démocratiques dicteraient les conditions
de paix ». Il appuya, dit-il, cette déclaration par une lettre dans laquelle il
donnait les raisons de son optimisme.
Le 26 septembre, au plus fort de la crise tchèque, après la
rencontre de Godesberg, Gamelin, qui avait accompagné à Londres les deux
ministres français, renouvela ses assurances à Chamberlain et s'efforça de les
justifier par une analyse de la situation militaire propre à raffermir
l'énergie, non seulement du Premier Ministre britannique, mais du président du
Conseil, qui se montrait irrésolu. Il semble qu'il ait échoué dans son
entreprise. Finalement, au moment où Daladier allait prendre l'avion pour
Munich, Gamelin lui précisa les limites des concessions territoriales qui
pouvaient être faites dans les Sudètes sans mettre la sécurité de la France en
danger.
Le système fortifié, les principales lignes de chemin de fer,
certaines lignes secondaires d'intérêt stratégique et les principales industries
de défense ne devaient pas être cédées à l'Allemagne. Surtout, ajouta-t-il, il
ne fallait pas permettre aux Allemands de laisser à découvert la trouée de
Moravie. Excellents conseils si l'on voulait que la Tchécoslovaquie pût être de
quelque utilité à la France en cas de guerre contre l'Allemagne; mais, nous
l'avons vu, Daladier n'était pas homme à les suivre.
A l'époque de Munich, on a beaucoup dit que, si Chamberlain
avait capitulé, c'était en grande partie de crainte que Londres ne fût
Weitere Kostenlose Bücher