Le Troisième Reich, T1
anéanti
par des bombardements allemands et il n'est pas douteux que les Français
frémissaient à la terrible perspective de voir leur magnifique capitale
détruite par l'aviation. Mais, d'après les renseignements qu'on possède
aujourd'hui sur la véritable puissance de la Luftwaffe à cette époque, les
Londoniens et les Parisiens, aussi bien que le Premier Ministre et le
président, s'alarmaient à tort. Comme l'armée, l'aviation allemande était
concentrée contre la Tchécoslovaquie et par conséquent, comme l'armée aussi, elle
était incapable de servir à des opérations importantes à l'ouest. Même si
l'état-major allemand avait pu distraire quelques bombardiers pour attaquer
Londres et Paris, il est fort douteux qu'ils aient atteint leurs buts. Si
faibles que fussent les défenses britannique et française, les Allemands
n'auraient pu assurer à leurs bombardiers la protection des chasseurs, même
s'ils avaient possédé les appareils. Leurs bases d'avions de chasse étaient
trop éloignées.
On a également affirmé — les ambassadeurs François-Poncet et
Henderson ont été formels à ce sujet — que Munich avait laissé aux deux
démocraties occidentales un répit de près d'un an pour rattraper le réarmement
allemand. Les faits démentent cette allégation. Comme l'a écrit Churchill, et
son opinion est partagée par tous les historiens militaires alliés vraiment
sérieux : « Le répit d'un an prétendument gagné grâce à Munich laissa la France
et l'Angleterre en face de l'Allemagne hitlérienne, dans une position bien pire
qu'au moment de la crise de Munich (95).» Comme nous le verrons, tous les
calculs militaires allemands, un an plus tard, confirment cette assertion et,
bien entendu, les événements ultérieurs lèvent tous les doutes qui auraient pu
subsister.
En jetant un regard rétrospectif sur les événements, à la
lumière aussi des renseignements que nous possédons aujourd'hui grâce aux
documents secrets allemands et aux témoignages d'après-guerre fournis par les
Allemands eux-mêmes, on peut présenter ainsi un résumé des faits qu'il eût été
impossible d'établir à l'époque de Munich : le 1er octobre 1938, l'Allemagne
n'était pas en mesure d'entrer en guerre contre la Tchécoslovaquie et du même
coup contre la France et la Grande-Bretagne, sans parler de la Russie. Si elle
l'avait fait, elle aurait été très vite et très facilement battue et sa défaite
aurait entraîné la fin d'Hitler et du Troisième Reich. Si une guerre européenne
avait été évitée au dernier moment à la suite d'une intervention des militaires
allemands, Hitler aurait pu être renversé par Halder, Witzleben et leurs
comparses qui, on s'en souvient, avaient formé le plan de l'arrêter dès qu'il
aurait donné l'ordre formel d'attaquer la Tchécoslovaquie.
En proclamant publiquement qu'il envahirait le pays des Sudètes
au 1er octobre « quoi qu'il advienne », Hitler s'aventurait très loin. Il se
plaçait dans la « position intenable » prévue par le général Beck. Après tant
de menaces formelles et de déclarations catégoriques, s'il avait tenté de faire
machine arrière, il n'aurait pu se maintenir longtemps au pouvoir, étant donné
ce que sont les dictateurs en général et ce qu'était sa dictature en
particulier. Il lui aurait été extrêmement difficile, sinon impossible, de
rabattre de ses prétentions et, s'il l'avait essayé, la perte de prestige qui
en aurait résulté pour lui, tant en Europe qu'aux yeux de son peuple et surtout
à ceux des généraux, lui aurait fort probablement été fatale.
L'insistance entêtée, fanatique, avec laquelle Chamberlain
s'acharna à accorder au Führer tout ce qu'il voulait, ses visites à
Berchtesgaden et à Godesberg, puis finalement son fatal voyage à Munich,
tirèrent Hitler de sa fâcheuse position et renforcèrent sa position en Europe,
en Allemagne et dans l'armée, au-delà de ce qu'on aurait pu imaginer quelques
semaines avant. Cette série de capitulations accrut également de manière
incommensurable la puissance du Troisième Reich par rapport à celle des
démocraties occidentales et de l'Union Soviétique.
Pour la France, Munich fut un désastre, et l'on n'arrive pas à
comprendre qu'à Paris on ne s'en soit pas vraiment rendu compte. La position
militaire française en Europe était réduite à néant. La France savait que son
armée, une fois la mobilisation allemande achevée, n'atteindrait guère plus
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