Le Troisième Reich, T1
Berlin, Keitel comme Brauchitsch avaient averti
Hitler que l'Allemagne avait peu de chances de gagner une guerre à laquelle la
Russie participerait dans le camp ennemi.
Aucun homme d'État, fût-il dictateur, ne peut prévoir à long
terme le cours que suivront les événements. On peut argumenter, comme l'a fait
Churchill, que, si délibérée que fût la décision prise par Staline de
s'entendre avec Hitler, elle était aussi, « à l'époque, réaliste au plus haut
degré (37) ».
L'idée essentielle et dominante de Staline, comme de tous les
chefs de gouvernement, était la sécurité de son pays. Pendant tout l'été 1939,
il n'avait cessé d'être convaincu, ainsi qu'il le dit plus tard à Churchill,
que Hitler voulait la guerre. Il était résolu à empêcher que la Russie se
laisse manœuvrer et finisse par se retrouver devant la désastreuse obligation
d'affronter seule l'armée allemande. S'il était impossible de conclure avec
l'Ouest une alliance sûre, pourquoi ne pas se tourner alors vers Hitler qui,
brusquement, frappait à sa porte?
A la fin de juillet 1939, Staline avait manifestement acquis la
conviction non seulement que la France et la Grande-Bretagne ne voulaient pas
d'alliance qui les liât, mais que le but du gouvernement Chamberlain était
d'inciter Hitler à prendre l'Europe orientale pour théâtre d'opérations. Il
semblait douter fortement que la Grande-Bretagne respectât ses obligations
vis-à-vis de la Pologne plus que la France n'avait honoré ses engagements
envers la Tchécoslovaquie.
Et tous les événements survenus dans l'Ouest contribuaient à
renforcer son scepticisme : Chamberlain rejetant, après l'Anschluss et
l'occupation de la Tchécoslovaquie, les propositions soviétiques de conférences
où l'on dresserait des plans pour empêcher de nouvelles agressions nazies;
Chamberlain fournissant des apaisements à Hitler lors de la conférence de
Munich d'où les Russes avaient été exclus; les atermoiements et hésitations du
même Chamberlain lors de négociations en vue d'une alliance défensive tandis
que s'écoulaient les jours du fatidique été 1939.
Une chose était certaine — pour presque tout le monde, sauf
Chamberlain. La banqueroute de la diplomatie anglo-française, qu'Hitler avait
fait vaciller et chanceler chaque fois qu'il réussissait un nouveau coup, était
désormais totale [207] .
Pas à pas, les deux démocraties occidentales avaient reculé : lorsque Hitler,
en 1935, les défia en édictant la conscription; lorsqu'en 1938 il s'empara de
l'Autriche et, la même année, exigea et obtint le territoire des Sudètes, enfin
lorsqu'elles avaient assisté en mars à l'occupation du reste de la
Tchécoslovaquie.
Avec l'Union Soviétique dans leur camp, elles auraient encore pu
dissuader le dictateur allemand d'ouvrir les hostilités, ou, en cas d'échec, le
vaincre rapidement dans un conflit armé. Mais elles avaient laissé échapper
cette dernière chance [208] .
Et voilà que maintenant, au pire moment, dans les pires circonstances, elles
étaient condamnées à venir en aide à la Pologne en cas d'agression.
Les récriminations de Londres et de Paris contre le double
jeu de Staline furent violentes et amères. Le despote, depuis des années,
hurlait contre les « monstres fascistes » en sommant les États pacifiques de
s'unir pour stopper l'agression nazie. Or, il s'en faisait désormais le
complice. Le Kremlin pouvait soutenir, comme il n'y manqua pas, que l'Union
Soviétique s'était contentée d'imiter ce que la Grande-Bretagne et la France
avaient fait à Munich : acheter la paix et le temps de se réarmer contre
l'Allemagne aux frais d'un petit pays. Si Chamberlain avait pour lui le bon droit
et l'honneur lorsque à Munich, en septembre 1938, il avait permis à Hitler
d'assouvir ses appétits, se déconsidérait-il, lui, en accordant à Hitler la
Pologne qui, en tout cas, s'était dérobée à l'aide soviétique?
Le cynique marché secret conclu entre Hitler et Staline
partageant la Pologne et donnant aux Russes toute latitude pour dévorer la
Lithuanie, la Lettonie, l'Esthonie, la Finlande et la Bessarabie ne fut pas
connu en dehors de Berlin et de Moscou, mais les actes des Soviets le rendirent
bientôt évident pour le plus grand scandale du monde entier, ou presque, même à
cette date tardive.
Les Russes pouvaient prétendre, et ils ne s'en privèrent pas,
qu'ils ne faisaient que reprendre possession des territoires qu'on leur
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