Le Troisième Reich, T1
des réparations par l'Allemagne. Cet ex-porte-parole de Hindenburg
et de Ludendorff, conservateur convaincu et monarchiste de cœur, en était venu
à penser que, si l'Allemagne voulait se sauvegarder, refaire son unité,
redevenir forte, il lui fallait pour un temps tout au moins accepter le régime
républicain et s'arranger avec les Alliés afin d'obtenir une période de
tranquillité lui permettant de regagner sa puissance économique. Continuer à
rouler à la dérive n'amènerait que la guerre civile, peut-être même la mort de
la nation.
La cessation de la résistance aux Français dans la Ruhr et la
reprise en charge du fardeau des réparations soulevèrent un accès de rage chez
les nationalistes allemands; les communistes, dont la force s'était accrue,
s'unirent à leurs attaques contre la République. Stresemann se trouvait exposé
à une révolte véritable, de la part de l'extrême-droite comme de
l'extrême-gauche. Il s'y était préparé en faisant décréter l'état d'urgence par
le président Ebert, le jour même qu'il annonçait le changement de politique
dans les questions de la Ruhr et des réparations. Pour la période comprise
entre le 26 septembre 1923 et le mois de février 1924, conformément à l'Acte
d'urgence, le pouvoir exécutif fut confié au ministre de la Défense, Otto
Gessler, et au commandant de l'armée, le général von Seeckt. En fait, le
général et ses troupes devenaient dictateurs virtuels du Reich.
La Bavière n'était nullement disposée à accepter pareille
solution. Son cabinet, dirigé par Eugen von Knilling, proclama son propre état
d'urgence le 26 septembre et nomma le monarchiste et ex-premier ministre Gustav
von Kahr commissaire d'État, en lui conférant des pouvoirs dictatoriaux. A
Berlin, on craignit que la Bavière ne se séparât du Reich, restaurât les
Wittelsbach et peut-être même formât avec l'Autriche une Union Sud-Allemande.
Le président Ebert convoqua en hâte le cabinet et pria le général von Seeckt
d'assister à la séance. Il demanda à celui-ci quelle était la position de
l'armée. Seeckt lui répondit carrément : « L'armée marche derrière moi,
monsieur le président (7). »
Ces mots glacés, proférés par le Prussien impassible et monoclé
qui commandait en chef, ne déconcertèrent ni le président, ni son chancelier,
contrairement à ce qu'on pourrait croire. Ils avaient déjà accepté que l'armée
fût un État dans l'État et ne dépendît que de soi. Nous avons vu, d'ailleurs,
que trois ans auparavant, lorsque les forces de Kapp avaient occupé Berlin et
que semblable appel était adressé à Seeckt, l'armée n'avait pas marché derrière
la République, mais bien derrière le général. Il importait donc, en 1923, de
savoir quelle était la position de ce dernier.
Heureusement pour la République, il choisit cette fois de se
faire son soutien, non pas qu'il crût aux principes démocratiques représentés par
elle, mais parce qu'il comprit que, pour le moment l'aide au régime existant
conditionnait l'existence de l'armée menacée par la révolte en Bavière et dans
le nord, et qu'elle seul préserverait l'Allemagne d'une guerre civile
désastreuse. Seeck savait, en effet, que certains des principaux officiers de
la division de Munich penchaient du côté des séparatistes bavarois; il savait
aussi qu'un complot, fomenté dans la « Reichswehr noire » par le major
Buchrucker, ancien officier d'état-major, visait à occuper Berlin et à en
expulser le gouvernement républicain. Il agit alors avec une froide précision
et une détermination totale pour rétablir l'ordre dans l'armée et pour mettre
fin au danger de guerre civile.
La nuit du 30 septembre 1923, des troupes de la Reichswehr noire
commandées par le major Buchrucker s'emparèrent de trois forts à l'est de
Berlin. Seeckt ordonna à des forces régulières de les assiéger; Buchrucker se
rendit au bout de deux jours. Il fut jugé pour haute trahison et condamné à dix
ans de forteresse. La Reichswehr noire fut dissoute; elle avait été instituée
par von Seeckt lui-même, sous la fausse appellation d' Arbeitskommando (commandos de travail), afin de constituer des renforts secret pour la
Reichswehr de 100 000 hommes
Cela fait, Seeckt s'occupa des menaces de soulèvements
communistes en Saxe, en Thuringe, à Hambourg et dans la Ruhr. Contre la gauche,
le loyalisme de l'armée ne faisait aucun doute. En Saxe, le gouvernement
socialo-communiste fut arrêté
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