Le Troisième Reich, T1
Juifs comme des
races décadentes. A ses yeux, les Allemands sont seuls à posséder la faculté de
régénération; leur langue est la plus pure et la plus originale; sous leur
suprématie fleurirait une ère historique nouvelle qui refléterait l'ordre
universel, sous la direction d'une élite restreinte et libérée de toute
contrainte morale d'une nature « particulière ». Ce sont là des idées que nous
avons déjà trouvées dans Mein Kampf .
Fichte mourut en 1814, et sa chaire fut reprise par Georg
Wilhelm Friedrich Hegel, esprit subtil et pénétrant, dont la dialectique,
inspirant Marx et Lénine, contribua à la fondation du communisme et dont
l'éclatante glorification de l'État en tant qu'autorité suprême dans la vie de
l'individu fraya la voie au Deuxième Reich de Bismarck et au Troisième Reich
d'Hitler. Pour Hegel, l'État est tout, ou presque tout. Il déclare par exemple
que c'est la plus haute révélation de « l'esprit universel », « l'univers moral
», « la réalité de l'idée éthique... de la mentalité éthique... qui se connaît
et se pense soi-même »; l'État « détient la prérogative suprême à l'encontre de
l'individu, dont le devoir suprême est d'être un membre de l'État... car le
droit de l'esprit universel est au-dessus de tous les privilèges
particuliers... »
Quant au bonheur terrestre de l'individu, Hegel répond que «
l'histoire universelle n'est pas l'empire du bonheur ». Les périodes heureuses
« constituent les pages vides de l'histoire parce que ce sont celles des
accords sans conflits ». La guerre est la grande purificatrice. Elle forme « la
santé éthique des peuples corrompus par une longue paix, de même que le souffle
des vents préserve la mer de la pourriture qui résulterait d'un long calme».
Nulle conception traditionnelle de morale ou d'éthique ne doit
s'interposer ni dans l'État, ni chez les « héros » qui le dirigent. «
L'histoire universelle se déroule à un niveau plus élevé... Les points de vue
moraux sont inopportuns et ils ne doivent pas venir se heurter aux faits
historiques et à leur réalisation. Il ne faut pas dresser contre ceux-ci la
litanie des vertus particulières — La modestie, l'humilité, la philanthropie,
la résignation... Une institution (l'État) si forte ne peut qu'écraser plus
d'une fleur innocente, briser en pièces nombre d'objets sur son chemin. »
Tel est l'État promis par Hegel à l'Allemagne pour le jour où
elle aura recouvré le génie qui lui vient de Dieu. Il annonce que « l'heure de
l'Allemagne » sonnera, et qu'alors elle aura pour mission de régénérer le
monde. « En lisant Hegel, on se rend compte du degré auquel, comme il avait
inspiré Marx, il inspira Hitler, même si ce fut par personne interposée; et
cela, grâce surtout à sa théorie des « héros », ces grands hommes qu'une
mystérieuse Providence charge d'accomplir « les volontés de l'esprit universel
»; nous verrons à la fin du chapitre comment Hitler semble y avoir trouvé l'ordre
et le sens impératif d'une mission à exécuter jusqu'au bout.
Heinrich von Treitschke vint plus tard à l'université de Berlin.
De 1847 à sa mort (1896), il y fut professeur d'histoire, fort apprécié au
reste, car ses leçons étaient suivies par une assistance nombreuse et
enthousiaste qui, à côté des étudiants, comprenait des officiers de
l'état-major général et des fonctionnaires de la bureaucratie junker. Son
influence sur la pensée allemande, considérable pendant le dernier quart du
siècle, se prolongea durant tout le règne de Guillaume II et même sous Hitler.
Quoique Saxon, il devint le grand prussophile, plus prussien que les Prussiens.
Comme Hegel, il glorifie l'État, il le conçoit suprême; mais son attitude est
plus rude : le peuple, les sujets ne sont guère que des esclaves dans la
nation. « Peu importe ce que vous pensez, s'écrie-t-il, du moment que vous
obéissez. »
Treitschke dépasse encore Hegel quand il prétend que la guerre
est la plus haute expression de l'homme. Selon lui, « la gloire martiale est la
base de toutes les vertus politiques; dans le riche trésor des gloires
militaires allemandes, celle de la Prusse brille comme un joyau aussi précieux
que les chefs-d'œuvre de nos poètes et de nos penseurs ». Il estime que
« jouer aveuglément de la paix... est devenu la honte des concepts et de
la moralité de notre époque ».
La guerre est non seulement une nécessité pratique,
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