Le Troisième Reich, T1
Deuxième Reich, eut lieu le 18 janvier 1871, jour où le roi de
Prusse Guillaume 1er fut proclamé empereur d'Allemagne dans la galerie des
Glaces du palais de Versailles. L'Allemagne devait son unité à l'armée
prussienne et devenait la plus grande puissance du continent, avec l'Angleterre
comme seule rivale en Europe.
L'événement portait cependant en soi un germe fatal. Treitschke
l'avait signalé : l'empire allemand n'était en réalité qu'une extension de la
Prusse. « La Prusse, déclarait-il nettement, est le facteur prépondérant.... La
volonté de l'Empire ne saurait être que celle de l'État prussien. » Ces paroles
véridiques constataient un fait qui devait avoir des conséquences désastreuses
pour les Allemands eux-mêmes. En effet, de 1871 à 1933 et, on peut le dire,
jusqu'à la fin d'Hitler en 1945, le cours de leur histoire suivit une ligne droite
et parfaitement logique, à l'exception de l'intérim rempli par la République de
Weimar.
En dépit de la façade démocratique figurée par le Reichstag,
dont les membres étaient élus au suffrage universel masculin, l'empire allemand
constituait en réalité une autocratie militariste gouvernée par le roi de
Prusse, qui était également empereur. Le Reichstag ne jouissait que de pouvoirs
limités, ne dépassant guère ceux d'un club de discussions, où les députés se
gargarisaient de mots, ou bien se marchandaient les uns aux autres de vagues
avantages pour les classes qu'ils représentaient. Le trône détenait le pouvoir,
de droit divin. En 1910 encore, Guillaume II pouvait proclamer que la couronne
royale avait été « accordée par Dieu seul, et non par des Parlements, des
assemblées ou des décisions populaires... Je me tiens pour un instrument du
Seigneur et je continue donc à suivre ma route. »
Il n'était nullement gêné par le parlement. Le chancelier qu'il
nommait n'était responsable que devant lui, et non devant le Reichstag. Cette
assemblée ne pouvait ni destituer le chancelier, ni le maintenir en place; le
monarque seul avait cette prérogative. Ainsi, contrairement à ce qui se passait
dans les autres pays occidentaux, le concept de la démocratie, de la souveraineté
populaire, de la suprématie du parlement ne s'implanta jamais en Allemagne,
même après le début du XXe siècle.
Sans doute, les sociaux-démocrates, après avoir subi pendant des
années les vexations de Bismarck et de l'empereur, devinrent en 1912 le parti
le plus nombreux du Reichstag. A grand bruit, ils demandèrent l'instauration
d'une démocratie parlementaire; mais ils étaient impuissants et ne formaient
après tout qu'une minorité. Les classes moyennes, rendues prospères par le
développement tardif, mais extraordinaire, de la révolution industrielle, et
éblouies par les succès de la politique bismarckienne de force et de guerre,
avaient abandonné pour des profits matériels l'indépendance politique à
laquelle elles eussent peut-être aspiré [34] .
Elles acceptèrent l'autocratie des Hohenzollern, ravies de
s'incliner devant la bureaucratie junker et d'approuver le militarisme
prussien. L'étoile de l'Allemagne s'était levée; sa population presque tout
entière ne cherchait qu'à faire, pour la maintenir bien haute, tout ce que ses
maîtres lui demandaient. Le dernier de ceux-ci fut l'Autrichien Hitler, aux
yeux de qui le Deuxième Reich de Bismarck, malgré ses erreurs et ses «
terrifiants virus de pourriture », était une œuvre splendide, en laquelle les
Allemands avaient enfin trouvé leur destin.
L'Allemagne n'était-elle pas, plus que tout autre pays, un
exemple merveilleux d'Empire édifié sur une politique de force! La Prusse,
cellule germinatrice de l'Empire, naquit d'un héroïsme superbe, et pas au moyen
d'opérations financières ou d'affaires commerciales. A son tour, le Reich ne
fut que la récompense glorieuse d'une politique active et mordante et du
courage montré par ses soldats au défi de la mort...
L'instauration même du (Deuxième) Reich sembla auréolée par
le miracle d'un événement qui souleva l'enthousiasme de toute la nation. Après
une série d'incomparables victoires, un Reich vit le jour, héritage pour les
fils et les petits-fils, récompense d'un héroïsme immortel... Reich, qui ne
devait pas son existence aux tricheries des fractions parlementaires, s'est
élevé au-dessus du niveau des autres États à cause du style sublime de sa
fondation, car cet acte solennel ne fut pas accompli dans
Weitere Kostenlose Bücher