Le Troisième Reich, T1

conversations qui se tiennent à sa table au Grand Quartier
général durant la guerre. « Quelles femmes ravissantes il y a dans le monde! »
déclare-t-il à ses compagnons, dans la nuit du 25 au 26 janvier 1942. Et il
donne plusieurs exemples de son expérience personnelle, ajoutant cette
vantardise : « Dans ma jeunesse, à Vienne, j'ai connu bien des femmes
ravissantes! » Heiden a évoqué quelques-unes des passions romanesques qui ont
marqué sa jeunesse : pour une certaine Jenny Haug, dont le frère était le
chauffeur d'Hitler et qui passait pour être sa bien-aimée en 1923; pour la grande
et imposante Erna Hanfstaengl, la sœur de Putzi; pour Winifred Wagner, la
belle-fille de Richard Wagner. Mais ce fut avec sa nièce qu'Adolf Hitler eut,
pour autant que l'on sache, la seule grande histoire d'amour de sa vie.
    Dans l'été de 1928, Hitler loua la villa Wachenfeld, dans
l'Obersalzberg, au-dessus de Berchtesgaden, pour cent marks par mois (environ
120 F) à la veuve d'un industriel de Hambourg, et il décida sa demi-sœur,
devenue veuve, Angela Raubal, à venir de Vienne pour tenir son ménage dans la
première maison qu'il pouvait considérer comme sienne [45] .
Frau Raubal amena avec elle ses deux filles, Geli et Friedl. Geli avait vingt
ans, de longs cheveux blonds, de jolis traits, une voix agréable et un charmant
caractère qui la rendait séduisante aux yeux des hommes (5).
    Hitler ne tarda pas à tomber amoureux d'elle. Il l'emmenait
partout, à des meetings et à des conférences, dans de longues promenades dans
les montagnes, dans les cafés et les théâtres de Munich. Lorsqu'en 1929 il loua
un somptueux appartement de neuf pièces sur la Prinzregentenstrasse, une des
artères les plus élégantes de Munich, Geli y avait sa chambre. Comme il fallait
s'y attendre, on se mit à jaser à Munich et dans les milieux nazis d'Allemagne
du Sud à propos de l'idylle qui s'était nouée entre le chef du parti et sa
belle nièce blonde. Certains des dirigeants nazis les plus collet-monté — ou
les plus envieux — conseillèrent à Hitler de cesser d'exhiber en public sa
jeune égérie ou alors de l'épouser. Ce genre de propos rendait Hitler furieux
et, à la suite d'une discussion à ce sujet, il cassa le Gauleiter du
Wurtemberg.
    Il est probable qu'Hitler avait l'intention d'épouser sa nièce.
De vieux camarades du parti, qui étaient à cette époque très proches de lui,
dirent par la suite à l'auteur de ce livre qu'un mariage semblait inévitable.
Qu’Hitler fût profondément amoureux d'elle, cela ne faisait pas de doute. On
est moins sûr de ses sentiments à elle. Il est évident qu'elle était flattée
des attentions d'un homme qui devenait célèbre et qu'elle en était même ravie.
On ignore si elle répondait à l'amour de son oncle; probablement pas, et la
suite des événements le confirma. Une brèche profonde, dont on n'a jamais bien
pu déterminer les origines ni la nature, ne tarda pas à se creuser entre eux.
On a avancé beaucoup d'hypothèses, mais sans grandes preuves à l'appui. Chacun
était apparemment jaloux de l'autre. Elle lui en voulait des attentions qu'il
prodiguait à d'autres femmes, à Winifred Wagner, entre autres.
    Il la soupçonnait d'avoir eu une aventure avec Emil Maurice,
l'ancien condamné de droit commun qu'il avait eu pour garde du corps. Elle
supportait mal également la tyrannie de son oncle. Il ne voulait pas qu'elle
fût vue dans la compagnie d'un autre homme que lui. Il lui interdit d'aller à
Vienne pour poursuivre ses leçons de chant, coupant court à ses ambitions de
faire une carrière de chanteuse d'opéra. Il la voulait pour lui seul.
    On a fait également de sombres allusions au fait que les
tendances masochistes de son amoureux lui répugnaient; on dit que cet homme,
qui était en politique un tyran brutal, avait besoin d'être l'esclave de la
femme qu'il aimait, penchant que l'on trouve fréquemment chez ce genre d'homme,
s'il faut en croire les sexologues. Heiden parle d'une lettre qu'Hitler écrivit
à sa nièce en 1929, avouant ses plus profonds sentiments sur ce point. Cette
lettre tomba entre les mains du fils de sa propriétaire, ce qui eut des
conséquences tragiques pour plusieurs personnes (6).
    Quelle que fût la raison qui obscurcit l'amour existant entre
l'oncle et sa nièce, leurs querelles devinrent de plus en plus violentes et, à
la fin de l'été de 1931, Geli annonça qu'elle retournait à Vienne pour
reprendre ses études de