Le Troisième Reich, T2
la Wilhelmstrasse. On lui
répondit que Ribbentrop ne serait pas « visible » à neuf heures, mais
qu’il pourrait remettre sa communication au docteur Schmidt, l’interprete officiel.
En ce jour historique, le docteur Schmidt dormit plus tard que d’habitude,
et, du taxi dans lequel il se rendait précipitamment au ministère des Affaires
étrangères, il aperçut l’ambassadeur de Grande-Bretagne qui gravissait déjà les
marches du perron. Empruntant une porte dérobée, Schmidt réussit à se faufiler
dans le bureau de Ribbentrop alors que neuf heures sonnaient, juste à temps
pour recevoir Henderson. « Il entra, l’air grave, raconta Schmidt plus
tard, échangea une poignée de main avec moi, mais il déclina mon invitation à s’asseoir
et demeura solennellement debout au milieu de la pièce (28). » Henderson
lut à haute voix l’ultimatum britannique, en tendit un exemplaire à Schmidt et
prit congé.
L’interprète officiel descendit à toute allure la Wilhelmstrasse
jusqu’à la Chancellerie, muni du document. A la porte du bureau du Führer, il
trouva la plupart des membres du cabinet et plusieurs hauts dignitaires du
parti, qui s’étaient rassemblés là, « attendant anxieusement » la
nouvelle qu’il apportait.
Lorsque je pénétrai dans la pièce voisine (raconta plus
tard Schmidt), Hitler était assis à son bureau et Ribbentrop debout près de la
fenêtre. Tous deux me lancèrent un regard interrogateur. Je m’arrêtai à
quelques pas du bureau d’Hitler et me mis à traduire lentement l’ultimatum
britannique. Lorsque je me tus, ce fut le silence complet.
Hitler demeura immobile à sa table, les yeux fixés devant
lui… Après un intervalle qui me parut un siècle, il se tourna vers Ribbentrop
qui n’avait pas quitté son poste auprès de la fenêtre. « Et ensuite ? »
demanda-t-il, l’air furieux, comme s’il sous-entendait que son ministre des
Affaires étrangères l’avait trompé sur la réaction probable des Anglais :
« Je suppose, répondit Ribbentrop d’un ton calme, que
les Français vont nous présenter d’ici une heure un ultimatum semblable (29). »
Sa mission accomplie, Schmidt sortit et s’arrêta dans l’antichambre
pour mettre les autres au courant des événements. Ils gardèrent, eux aussi, le
silence pendant un moment. Alors :
Gœring se tourna vers moi : « Si nous perdons
cette guerre, dit-il, que Dieu nous ait en pitié. »
Gœbbels se tenait tout seul dans un coin, l’air abattu et
absorbé dans ses pensées. Partout autour de moi, je ne vis que des regards
profondément inquiets (30).
Entre-temps, l’inimitable Dahlerus avait fait une ultime et
fantaisiste tentative pour éviter l’inévitable. A huit heures, Forbes l’avait
averti de l’ultimatum britannique, qui serait présenté une heure plus tard. Il
se précipita alors au quartier général de la Luftwaffe, afin de voir Gœring et,
pour reprendre les termes dont il usa à Nuremberg, le supplia de veiller à ce
que la réponse allemande à l’ultimatum soit « raisonnable ». Il
suggéra en outre que le feld-maréchal en personne fasse avant onze heures une déclaration,
où il annoncerait qu’il était prêt à prendre l’avion pour Londres « en vue
de négocier ».
Dans son livre de souvenirs, l’industriel suédois prétend que
Gœring accueillit favorablement sa suggestion et téléphona à Hitler, qui y
souscrivit immédiatement. Les documents allemands ne font aucune mention de
cette démarche, et le docteur Schmidt apporte la preuve que Gœring, quelques
minutes après neuf heures, ne se trouvait pas à son quartier général, mais à la
Chancellerie, dans l’antichambre d’Hitler.
En tout cas, il ne fait aucun doute que l’intermédiaire suédois
ait effectivement téléphoné au Foreign Office non pas une fois mais deux. Lors
de sa première communication, à dix heures quinze, il prit sur lui d’informer
le gouvernement britannique que la réponse allemande à son ultimatum était « en
route » et que les Allemands étaient toujours « très désireux de
donner satisfaction au gouvernement britannique et de lui fournir toute
assurance qu’il n’avait pas l’intention d’attenter à la liberté de la Pologne » !
Il espérait, lui Dahlerus, que Londres examinerait la réponse d’Hitler « sous
l’angle le plus favorable (31) ».
Une demi-heure plus tard, à dix heures cinquante – dix minutes
avant l’expiration de
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