Le Troisième Reich, T2
de la capitale soviétique comportait un élément
psychologique de valeur, mais les arguments de Bock et Guderian allaient bien
au-delà. Moscou, essayèrent-ils de faire comprendre au Führer, est le centre
vital de la production d’armements et le principal nœud des communications
ferroviaires de toute la Russie. Prenons Moscou, insistaient-ils, et les
Soviets ne seront pas seulement dépouillés de leur source essentielle d’armements
mais deviendront incapables de transporter leurs troupes et leur matériel sur
les fronts éloignés qui, de ce fait, s’affaibliront et finiront par se
désagréger.
En dernier ressort, ils exposèrent à l’ex-caporal devenu leur
chef suprême l’argument décisif : le gros des forces armées soviétiques se
trouvait alors concentré autour de Moscou en vue d’une défense acharnée, tandis
qu’à l’est de Smolensk, 500 000 hommes échappés au double enveloppement de
Bock se maintenaient sur place pour barrer l’avance allemande sur leur capitale.
« Le centre de gravité des forces ennemies se trouvait
par conséquent en avant du groupe d’armées central, écrit Halder dans un
rapport destiné aux Alliés immédiatement après la fin de la guerre (8). La
destruction de la puissance militaire de l’adversaire doit être le premier
objectif de toute opération offensive, professait l’état-major général nourri
de principes traditionnels. D’après ce point de vue, il importait donc avant
tout d’écraser les armées du maréchal Timochenko. Ensuite, d’atteindre Moscou, centre
nerveux de la résistance soviétique, et d’anéantir les nouvelles formations de
l’Armée Rouge.
L’approche de l’automne exigeait l’exécution rapide de ce
plan. Entre-temps, le groupe d’armées du nord reçut pour mission d’opérer sa
liaison avec les Finlandais ; le groupe d’armées du sud celle d’avancer le
plus loin possible en direction de l’est afin d’immobiliser au maximum les
forces ennemies… Le 18 août, à la suite de l’échec des délibérations
orales entre l’état-major général et le haut commandement de la Wehrmacht, le
maréchal von Brauchitsch soumit au Führer un mémorandum. »
Ce texte provoqua une « explosion », relate Halder
quelque temps plus tard. Hitler convoitait furieusement, depuis des mois, le
riche grenier d’Ukraine et, au-delà, les zones pétrolifères du Caucase. De
plus, il voyait dans sa manœuvre l’occasion unique de prendre au piège les
armées de Boudienny qui, à l’est du Dnieper, au-delà de Kiev, tenaient encore
bon. Il voulait aussi s’emparer de Leningrad et effectuer une jonction avec l’armée
finlandaise. Pour atteindre ces deux buts, il était nécessaire de détacher du
groupe d’armées de von Bock plusieurs divisions blindées, plusieurs divisions d’infanterie,
et de les distribuer entre le nord et le sud. Moscou pouvait attendre.
Le 21 août, le Führer lançait à la
tête des généraux récalcitrants une nouvelle directive. La voici, copiée mot
pour mot dans les carnets d’Halder.
« Les propositions formulées par les chefs d’état-major
de la Wehrmacht au sujet des opérations à poursuivre sur le front russe ne
cadrent pas avec mes intentions.
« L’objectif primordial à atteindre avant l’hiver est
non pas la prise de Moscou, mais, au sud, de nous emparer de la Crimée, du
bassin minier et industriel du Donetz et des gisements pétrolifères du Caucase ;
au nord d’investir Leningrad et d’opérer la jonction avec les armées
finlandaises. Seulement alors seront réalisées les conditions qui nous
permettront d’attaquer l’armée Timochenko et de la vaincre. »
Ainsi donc, note amèrement Halder, la défaite définitive de
l’Armée Rouge devant Moscou doit céder le pas à la conquête de zones
industrielles et pétrolifères… Le Führer est obsédé par son désir de s’emparer
à la fois de Leningrad et de Stalingrad, car il se persuade que la chute de ces
deux cités saintes du communisme entraînera celle de la Russie tout
entière.
Dans ce qu’Halder appelle son contre-mémorandum, Hitler, ajoutant
l’insulte à l’injustice envers les maréchaux et les généraux qui refusent d’apprécier
son génie militaire, accuse le Haut-Commandement de donner asile à des « cerveaux
fossilisés dans des théories archaïques ».
Intolérable ! Inqualifiable ! Il dépasse la mesure !
Fulmine Halder dans ses feuillets du lendemain. Tout
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