Le Troisième Reich, T2
une défaite de première grandeur. Nos déboires ont
commencé à Rostov, déclarera plus tard le général Guderian. Nous y lûmes notre Marte,
Thecel, Phares . Von Rundstedt paya de son commandement la retraite du Mius.
Alors que nous battions en retraite, expliqua-t-il au
tribunal de Nuremberg, le Führer m’intima l’ordre de tenir bon : « Restez
où vous êtes, ne reculez pas d’un pouce. » Je répondis : « Essayer
de tenir est une folie. D’une part, mes troupes ne le peuvent plus. D’autre
part, si elles ne se replient pas, elles seront anéanties. Annulez votre ordre
ou trouvez un autre chef pour l’exécuter. » La réaction du Führer me fut
transmise dans la nuit : « J’accède à votre requête et vous prie d’abandonner
votre commandement. » Je rentrai alors en Allemagne (11) [131] .
Bien que plusieurs généraux le contestent, cet entêtement
maniaque du Führer à exiger que ses troupes tinssent bon, quel
que fût le danger, sauva peut-être l’armée allemande d’une complète débâcle au
cours des mois écrasants qui suivirent. Il conduisit néanmoins au désastre de
Stalingrad et à la déroute finale.
Cet hiver-là, la neige et les températures sibériennes s’abattirent
prématurément sur la Russie. Guderian note la première chute de neige dans la
nuit du 6 octobre, à l’heure précise où s’amorçait la marche sur Moscou. Pour
la seconde fois, de façon pressante, il demande l’envoi d’équipements chauds ;
avant tout des bottes épaisses et de grosses chaussettes de laine. Le 12 octobre,
la neige tombe toujours. Le 3 novembre, la première vague des grands
froids assaille les troupes. Le thermomètre descend à 12°au-dessous de zéro et,
chaque jour, accélère sa chute. Le 12, il indique – 23°. L’absence de vêtements
d’hiver devient tragique, cependant que le gel affecte les véhicules motorisés
et les canons au même titre que les hommes.
« La glace nous crée des difficultés énormes, rapporte
Guderian, car les crampons à glace et les cales des chenilles ne sont pas
encore arrivés. Les chars ne démarrent qu’à condition d’allumer un feu sous le
moteur. Le carburant gèle et l’huile se fige… Les mitrailleuses et les viseurs
télescopiques deviennent inutilisables. Autre chose très grave : notre
canon anti-chars de 37 mm s’avère inefficace contre le char lourd T 34 de l’Armée
Rouge (12). Chaque régiment de la 112e division d’infanterie a déjà perdu une
moyenne de 500 hommes atteints de graves gelures des membres. »
La panique s’empare des troupes et s’étend jusqu’à Bogorodsk. De
toute la campagne de Russie, c’est la première fois que pareille chose se passe.
Elle prouve que l’endurance de l’infanterie et ses capacités combatives sont à
bout. Et pas seulement celles de l’infanterie : le 21 novembre, Guderian
téléphone au Q. G. : « Mes hommes ont atteint la limite de leurs
forces. » Ce dur à cuire, agressif, brutal, prend alors une décision
humaine. Il va trouver von Bock, commandant du groupe central d’armées, et le
prie de faire annuler les ordres du Führer, car « il ne voit pas le moyen
de les exécuter ».
Profondément déprimé, il écrit le même jour :
« Le froid intense, l’absence d’abris, la pénurie d’équipements
chauds, les pertes écrasantes en hommes et en matériel, le problème du
ravitaillement et des transports de carburant, tout cela transforme mon
commandement en cauchemar et plus je vais, plus l’énorme fardeau de mes
responsabilités m’accable (13). »
Rétrospectivement, il dira :
« Ceux-là seuls qui ont vécu cet abominable hiver de
Russie, vu ces immensités sans limite ensevelies sous la neige, subi les blizzards sibériens qui les traversent et dont les rafales effacent tout sur leur passage ;
ceux qui pendant des heures et des heures ont marché à travers ce « no man’s
land » pour aboutir à un abri précaire ; ceux qui harassés, mal vêtus,
pétrifiés par le froid, à demi affamés, ont comparé leur sort à celui des
soldats russes bien nourris, chaudement vêtus, équipés à fond pour une campagne
d’hiver ; ceux-là seuls, dis-je, ont le droit de juger ce qui se passa
alors (14). »
Ce qui se passa, rappelons-le brièvement, non sans avoir mis l’accent
là où il le faut. Si redoutable qu’ait été l’hiver russe de 1941, et étant donné
que les troupes soviétiques y étaient, bien entendu, mieux
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