Le Troisième Reich, T2
échoué uniquement parce que la bombe à retardement, placée dans
l’avion où Hitler avait pris place pour aller inspecter l’arrière du front
russe, n’avait pas éclaté.
Des modifications importantes étaient survenues au cours de
cette année à l’intérieur du mouvement de résistance allemand. Les
conspirateurs avaient fini par laisser tomber les maréchaux – trop lâches ou
trop bornés pour utiliser leur position et leur force militaire. Le 12 novembre
1942, lors d’un rendez-vous secret dans la forêt de Smolensk, Gœrdeler, l’âme
de la résistance, avait personnellement supplié le maréchal von Kluge, commandant
en chef du groupe d’armées du centre sur le front de l’Est, de prendre une part
active à l’action entreprise pour libérer le pays d’Hitler. Le maréchal
versatile, qui venait d’accepter un splendide cadeau du Führer [235] ,
acquiesça, mais quelques jours plus tard, pris de peur, il écrivit au général
Beck, à Berlin, de ne plus compter sur lui.
Quelques semaines plus tard, les conspirateurs essayèrent de
gagner à leur cause le général Paulus, dont la VIe armée
était alors encerclée à Stalingrad et qui, pensaient-ils, devait éprouver une
amère désillusion à l’égard du Führer qui avait rendu cela
possible. Ils lui demandaient de lancer un appel à l’armée pour renverser le
tyran qui avait condamné ainsi 250 000 soldats allemands à une fin atroce.
Le général Beck adressa un message personnel dans ce sens
au général Paulus, message qui fut jeté dans la ville
assiégée par un officier de la Luftwaffe. Paulus, nous l’avons
vu, répondit par un flot de messages assurant son Führer de
son entier dévouement ; il ne devait se réveiller que peu après son
arrivée à Moscou ; comme prisonnier des Russes.
Après cette déception, les conspirateurs reportèrent pendant
quelques jours leurs espoirs sur Kluge et Manstein qui, après
le désastre de Stalingrad, avaient regagné par avion Rastenburg pour
demander au Führer, croyait-on, de leur donner le
commandement du front russe. Dans le cas où cette démarche [236] serait couronnée de succès, elle donnerait le signal d’un coup d’Etat [237] à Berlin. Une fois de plus, les conspirateurs furent victimes de leurs
illusions. Les deux maréchaux s’envolèrent bien vers le quartier général d’Hitler,
mais ce fut pour affirmer de nouveau leur loyalisme au commandant en chef
suprême.
« On nous a abandonnés », se plaignit amèrement
Beck.
Il était maintenant évident pour lui et pour ses amis qu’ils ne
pouvaient attendre absolument aucune aide des généraux commandant sur le front.
En désespoir de cause, ils se tournèrent vers la seule force intérieure, qui ne
tenait guère d’une armée, mais plutôt d’un assemblage de recrues à l’entraînement
et de diverses troupes de garnison composées d’hommes âgés employés à des
services de garde [238] .
Ces hommes étaient armés et, les troupes aguerries et les unités de Waffen S. S.
étant occupées sur le front à une grande distance de là, ils suffiraient
peut-être à permettre aux conspirateurs d’occuper Berlin et certaines autres
villes-clefs au moment où l’on assassinerait Hitler.
Mais l’opposition ne s’était pas encore pleinement mise d’accord
sur la nécessité – ou même l’opportunité – de cette exécution.
Ainsi le cercle Kreisau s’opposait absolument à un tel acte de
violence. Ce cercle était un groupe de jeunes intellectuels idéalistes réunis
autour des rejetons de deux des familles aristocratiques les plus renommées :
le comte Helmuth James von Moltke, un arrière-petit-neveu du maréchal qui avait
conduit l’armée prussienne à la victoire contre la France en 1870, et le comte
Peter Yorck von Wartenburg, descendant direct du fameux général de l’époque
napoléonienne qui, avec Clausewitz, avait signé avec le tzar Alexandre I er la Convention de Tauroggen, à la suite de quoi l’armée prussienne avait changé
de camp, contribuant à la chute de Napoléon.
Tenant son nom de la propriété que possédaient les Moltke à
Kreisau en Silésie, le cercle Kreisau n’était pas un cercle de conspirateurs mais
un cercle où l’on discutait [239] et dont les membres représentaient un bon échantillonnage de la Société
allemande d’avant le nazisme, telle qu’ils espéraient qu’elle redeviendrait
après le cauchemar hitlérien.
Il comprenait deux jésuites, deux
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