Le Troisième Reich, T2
pasteurs luthériens, des
conservateurs, des libéraux, des socialistes, de riches propriétaires terriens,
d’anciens dirigeants de syndicats ouvriers, des professeurs et des diplomates. Malgré
leur différence de formation, de milieu social et de pensée, ils avaient pu
trouver un terrain d’entente qui leur permettait de rassembler des idées
intellectuelles, spirituelles, éthiques, philosophiques et, jusqu’à un certain
point, politiques dans leur résistance commune à Hitler. A en juger d’après les
documents qu’ils ont laissés derrière eux – presque tous furent pendus avant la
fin de la guerre – et qui comprenaient un programme pour le gouvernement futur
et pour les fondements économique, social et spirituel de la nouvelle Société, ils
tendaient vers une sorte de socialisme chrétien où tous les hommes seraient
frères, où les terribles maux des temps modernes et les perversions de l’esprit
humain seraient guéris. Leur idéal était noble, très élevé, au point d’être un
peu nuageux ; il s’y ajoutait une touche de mysticisme germanique.
Mais ces jeunes gens aux sentiments nobles étaient
incroyablement patients. Ils haïssaient Hitler et ce qu’il avait amené en
Allemagne et en Europe. Mais il ne les intéressait pas de le renverser : ils
pensaient que la défaite prochaine de l’Allemagne s’en chargerait. Ils
dirigeaient exclusivement leur attention sur ce qui viendrait ensuite. « Pour
nous, écrivait Moltke à cette époque, l’image de l’Europe d’après guerre
dépendra de la façon dont nous pourrons rendre à nos concitoyens le respect de
l’homme. »
Dorothy Thompson, l’éminente journaliste américaine qui séjourna
de nombreuses années en Allemagne, supplia Moltke, un de ses vieux et bons amis,
de descendre des nuages. Dans une série de courtes émissions qu’elle fit à New
York au cours de l’été 1942 à l’intention de « Hans », elle l’implora,
lui et ses amis, de tenter quelque chose pour se débarrasser du dictateur
démoniaque. « Nous ne vivons pas dans un monde de saints, mais dans un
monde d’êtres humains », lui rappela-t-elle.
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, Hans, et
qu’ensemble nous avons bu une tasse de thé sur cette belle terrasse qui domine
le lac… je vous ai dit qu’un jour il vous faudrait montrer par des actes, des
actes énergiques, de quel bord vous êtes… Et je me souviens de vous avoir
demandé si vous et vos amis auriez un jour le courage d’agir (1)…
C’était une question pertinente et la réponse semble avoir été que
Moltke et ses amis avaient le courage de parler – ce pourquoi ils furent
exécutés – mais pas celui d’agir.
Cette faille dans leurs esprits plutôt que dans leurs cœurs – car
tous sans exception affrontèrent une mort cruelle avec un grand courage – fut la
cause principale des divergences qui opposèrent le cercle Kreisau au groupe de
conspirateurs Beck-Gœrdeler-Hassell, bien qu’ils ne fussent pas non plus d’accord
sur le caractère et la composition du gouvernement qui succéderait au régime
nazi.
Ils tinrent plusieurs réunions, à la suite d’une conférence
solennelle qui eut lieu dans la demeure de Peter Yorck, le 22 janvier 1943.
Elle était présidée par le général Beck qui, ainsi que le nota Hassell dans son
journal, « se montra plutôt amorphe et réservé (2) ». Une discussion
assez vive opposa les « jeunes » et les « vieux » – selon
les termes mêmes de Hassell – sur la future politique sociale et économique, Moltke
et Gœrdeler étant en violent désaccord sur ce point. Hassell jugeait l’ancien
maire de Leipzig tout à fait « réactionnaire » et notait chez Moltke « des
tendances anglo-saxonnes et pacifistes ». La Gestapo prit bonne note de
cette réunion et, lors du procès qui allait voir comparaître ses participants, elle
produisit un compte rendu étonnamment détaillé des discussions.
Himmler était déjà sur la piste des conspirateurs et plus près
de les rattraper que ceux-ci ne s’en doutaient. Mais, et c’est là une des
ironies de cette affaire, en 1943, avec la perspective de la défaite imminente,
cet homme aux manières douces, ce S. S. sanguinaire, ce maître-policier du
Troisième Reich, commençait à porter un intérêt personnel à la résistance, avec
laquelle il entretenait plus d’un contact amical. Et, parmi les conspirateurs, plus
d’un – en particulier Popitz –
Weitere Kostenlose Bücher