Le Troisième Reich, T2
commençait à voir en Himmler un successeur
possible d’Hitler ! Le chef S. S., apparemment attaché avec fanatisme au
Führer, commença à se voir lui-même dans ce rôle, ce qui ne l’empêcha pas de
jouer presque jusqu’à la fin le double jeu, provoquant la mort de beaucoup de
conspirateurs courageux.
La résistance travaillait dans trois domaines. Le cercle Kreisau
tenait d’interminables débats et travaillait pour l’âge de l’Apocalypse. Le
groupe Beck, les pieds davantage sur la terre, cherchait à tuer Hitler d’une manière
ou d’une autre et à s’emparer du pouvoir. Il nouait aussi des contacts avec l’Ouest
pour informer les Alliés de ce qui se tramait et chercher à savoir quel genre
de paix ceux-ci accepteraient de négocier avec un gouvernement antinazi [240] .
Ces contacts furent établis à Stockholm et en Suisse.
Dans la capitale suédoise, Gœrdeler rencontra plusieurs fois les
banquiers Marcus et Jakob Wallenberg, avec lesquels il était depuis longtemps
lié d’amitié et qui avaient des affaires et des relations personnelles à
Londres. En avril 1942, au cours d’un entretien avec Jakob Wallenberg, Gœrdeler
le pressa d’entrer en contact avec Churchill. Les conspirateurs voulaient que
le premier ministre leur donnât l’assurance préalable que les Alliés
concluraient la paix avec l’Allemagne s’ils arrêtaient Hitler et renversaient
le régime nazi. Wallenberg répliqua qu’à en juger par ce qu’il savait du
gouvernement britannique ils n’obtiendraient pas cette promesse.
Un mois plus tard, deux pasteurs luthériens établissaient un
contact direct avec les Anglais à Stockholm. Il s’agissait du docteur Hans Schœnfeld,
membre du Bureau des Relations étrangères de l’Église évangélique allemande, et
du pasteur Dietrich Bonhœffer, un ecclésiastique éminent et un conspirateur
actif, qui, en apprenant que le docteur George Bell, l’évêque anglican de
Chichester, se trouvait en visite à Stockholm, se hâta de l’y rejoindre. Bonhœffer
voyagea incognito, avec de faux papiers que lui avait fournis le colonel Oster,
de l’Abwehr.
Les deux pasteurs mirent l’évêque au courant des projets des
conspirateurs et, de même que Gœrdeler, s’enquirent si les Alliés occidentaux
consentiraient à conclure une paix honorable avec un gouvernement non nazi, une
fois Hitler renversé. Ils demandèrent une réponse – soit par un message privé, soit
par une déclaration publique. Pour bien faire comprendre que le complot
anti-hitlérien était une affaire très sérieuse, Bonhœffer remit à l’évêque une
liste portant les noms des dirigeants – indiscrétion qui, par la suite, allait
lui coûter la vie et apporter des arguments de plus à l’accusation pour obtenir
l’exécution d’un bon nombre d’autres conspirateurs.
C’était l’information la plus sûre et la plus récente que les
Alliés eussent reçue jusqu’alors concernant l’opposition en Allemagne et ses
projets ; aussi, dès son retour à Londres au mois de juin, l’évêque
anglican s’empressa-t-il de la transmettre à Anthony Eden, ministre des
Affaires étrangères. Mais Eden, qui avait donné sa démission de ce poste en
1938 pour protester contre la politique d’apaisement adoptée par Chamberlain à
l’égard d’Hitler, se montra sceptique. Des informations du même genre avaient
été transmises au gouvernement britannique par de prétendus conspirateurs
depuis l’époque de Munich et jamais rien n’en était sorti. Aucune réponse ne
fut donnée (4).
Les contacts pris par les résistants allemands avec les Alliés
en Suisse passaient en majorité par le canal d’Allen Dulles, qui y dirigea le « Bureau
des Services stratégiques [241] »
américain de novembre 1942 à la fin de la guerre.
Son principal visiteur fut Hans Gisevius qui faisait fréquemment
le voyage de Berlin à Berne et qui était lui aussi, nous l’avons vu, un membre
actif de la conspiration. Gisevius travaillait pour l’Abwehr et était attaché
au Consulat général allemand en qualité de vice-consul. Sa fonction principale
consistait à transmettre à Dulles des messages émanant de Beck et de Gœrdeler
et de le tenir informé des progrès des complots dirigés contre Hitler. Dulles
recevait également d’autres visiteurs, dont le docteur Schœnfeld et Trott zu
Solz, ce dernier à la fois membre du cercle Kreisau et de la conspiration ;
il se rendit une fois en Suisse pour
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