Le Troisième Reich, T2
dont le sommet était à
Valenciennes, 100 kilomètres à l’intérieur. Il n’y avait à présent aucun espoir
de sortir du piège. Le seul espoir, et il paraissait mince, était la
possibilité d’une évacuation par mer, à Dunkerque.
Ce fut dans cette conjoncture, le 24 mai, que les blindés
allemands, à présent en vue de Dunkerque et postés le long de l’Aa, entre
Gravelines et Saint-Omer, dans l’attente du choc final, reçurent l’ordre
étrange – et, pour les soldats en campagne, inexplicable – d’arrêter leur
avance. C’était la première faute grave du Haut Commandement allemand dans la
seconde guerre mondiale, faute qui devint un sujet de violentes controverses
non seulement entre les généraux allemands, mais parmi les historiens
militaires : qui en était responsable ? Et pourquoi ? Nous
reviendrons plus tard sur cette question, à la lumière d’une masse de matériaux
disponibles maintenant. Quelles que fussent les raisons de cet ordre d’arrêt, il
apporta un sursis miraculeux aux Alliés, et spécialement aux Britanniques, car
il permit le miracle de Dunkerque. Mais il ne sauva
pas la Belgique.
LA CAPITULATION DU ROI LÉOPOLD
Le roi des Belges, Léopold III, se rendit au début de la
matinée du 28 mai. Ce jeune chef obstiné, qui avait tenu son pays hors de
l’alliance avec la France et l’Angleterre, dans une neutralité stupide, qui
avait même refusé de renouer l’alliance quand il avait appris que les Allemands
préparaient un assaut massif contre ses frontières, qui, au dernier moment, après
qu’Hitler eut frappé, demanda un secours militaire aux Français et aux Anglais,
et le reçut, ce même souverain les abandonnait à présent à une heure désespérée,
ouvrant la digue aux divisions allemandes pour leur permettre de se déverser
sur le flanc des troupes anglo-françaises violemment pressées. Bien plus, il le
fit, comme Churchill le dit aux Communes le 4 juin, « sans
consultation préalable, avec le plus de discrétion possible, sans l’avis de ses
ministres, de son propre chef ».
En réalité, il le fit contre l’avis unanime de son
gouvernement, qu’il avait constitutionnellement juré de suivre. Le 25 mai,
à cinq heures, une explication eut lieu au Q. G. du roi entre le monarque et
trois membres du cabinet, dont le Premier Ministre et le ministre des Affaires
étrangères. Ceux-ci l’adjurèrent pour la dernière fois de ne pas capituler
personnellement et devenir ainsi prisonnier des Allemands, car, s’il le faisait,
« il s’avilirait à jouer le rôle de Hacha à Prague ». Ils lui
rappelèrent également qu’il était chef de l’État aussi bien que commandant en
chef et que, si les choses tournaient au pire, il pourrait exercer son office
en exil, comme la reine de Hollande et le roi de Norvège avaient décidé de le
faire, jusqu’à la victoire finale des Alliés.
« J’ai décidé de rester, répondit Léopold. La cause des Alliés
est perdue (14). »
Le 27 mai, à dix-sept heures, il délégua le général
Desrousseaux auprès des Allemands pour demander une trêve. A vingt-deux heures,
le général rapporta les conditions allemandes : « Le Führer exige que
les armes soient déposées sans condition. » A vingt-trois heures, le roi
accepta la capitulation sans condition et proposa que le combat cessât à quatre
heures ; et il cessa.
Paul Reynaud dénonça la capitulation de Léopold III en
termes violents, et le Premier Ministre belge Pierlot, parlant aussi à la radio
de Paris mais sur un ton plus posé, informa les Belges que le roi avait agi
contre l’avis unanime du gouvernement, avait brisé les liens qui l’unissaient
au peuple et n’était plus en posture de gouverner ; le gouvernement belge
en exil continuerait la lutte. Quand il parla à la Chambre le 28 mai, Churchill
réserva son jugement sur l’acte de Léopold III, mais le 4 juin il se
joignit à la critique générale.
La controverse fit rage, longtemps encore après la fin de la
guerre. Les défenseurs de Léopold III, et ils étaient nombreux à l’intérieur
et hors de la Belgique, croyaient qu’il avait fait œuvre juste et honorable en
partageant le sort de ses soldats et du peuple belge. Ils faisaient valoir que
le roi, en capitulant, n’avait pas agi comme chef d’État mais comme commandant
en chef de l’armée belge.
Que les troupes belges vaincues fussent dans une situation
désespérée le 27 mai ne se discute pas.
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