Le Troisième Reich, T2
à l’instigation de Rundstedt
et de Gœring, malgré les violentes objections de Brauchitsch et d’Halder :
les forces blindées devaient s’arrêter sur la ligne du fleuve sans essayer d’avancer
davantage. Répit inattendu et vital, que Lord Gort, la marine et l’aviation
britanniques utilisèrent au mieux et qui, comme Rundstedt le sentit et le dit
plus tard, conduisit « à un des grands tournants de la guerre ».
Pourquoi cet ordre inexplicable de stopper au seuil de ce qui s’affirmait
être la plus grande victoire allemande de la campagne ? Pour quelles
raisons ? Et qui en était responsable ? Ces questions ont provoqué
une des plus grandes discussions de la guerre parmi les généraux allemands en
cause et parmi les historiens. Les généraux, Rundstedt et Halder en tête, en
rejettent le blâme exclusivement sur Hitler. Churchill alimenta encore la
controverse dans le second volume de ses Mémoires en soutenant que l’initiative
venait de Rundstedt et non d’Hitler, citant comme preuve le journal de guerre
du Q. G. de Rundstedt.
Dans le labyrinthe des témoignages opposés et contradictoires, il
a été difficile de vérifier les faits. Alors qu’il préparait ce chapitre, l’auteur
a écrit au général Halder lui-même pour avoir des éclaircissements, et il reçut
une réponse prompte, courtoise et détaillée. C’est sur ces bases et bien d’autres
preuves à présent connues que certaines conclusions peuvent être tirées et la
controverse réglée, sinon définitivement, du moins avec impartialité.
Quant à la responsabilité du fameux ordre, Rundstedt, contrairement
à ce qu’il devait affirmer plus tard, doit la partager avec Hitler. Le Führer
se rendit au Q. G. du groupe d’armées A du général à Charleville, le matin du 24 mai.
Rundstedt proposa que les panzer-divisions sur la ligne de l’Aa devant Dunkerque fussent stoppées jusqu’à ce qu’on ait pu amener
davantage d’infanterie [58] .
Hitler approuva, en ajoutant que les blindés devaient être tenus
en réserve pour des opérations ultérieures au sud de la Somme. Bien plus, il
déclara que, si la poche dans laquelle les Alliés étaient pris au piège
devenait trop étroite, cela entraverait les activités de la Luftwaffe. Rundstedt,
avec l’approbation du Führer, rédigea probablement sur-le-champ l’ordre de
stopper, car Churchill signale que le C. E. B. intercepta à onze heures
quarante-deux ce matin-là un message radio allemand donnant des ordres dans ce
sens (17). Hitler et Rundstedt étaient à ce moment en conférence.
De toute façon, ce soir-là, Hitler rédigea l’ordre formel de l’O.
K. W. ; Jodl et Halder le notèrent tous deux dans leur journal. Le chef du
grand état-major en était navré.
Notre aile gauche, consistant en forces blindées et
motorisées (écrivait-il dans son journal), sera ainsi complètement immobilisée
sur ses chenilles, par ordre direct du Führer ! En finir avec l’armée
ennemie encerclée doit être laissé à l’aviation !
Cette exclamation dédaigneuse indique que Gœring était intervenu
auprès d’Hitler, comme on le sait à présent. Il offrit de liquider les troupes
ennemies encerclées avec la seule aviation. Les raisons de cette proposition
ambitieuse et vaine furent données à l’auteur dans la lettre d’Halder du 19 juillet
1957.
Pendant les jours qui suivirent (c’est-à-dire après le 24 mai),
on apprit que la décision d’Hitler avait été fortement influencée par Gœring. Pour
le dictateur, le mouvement rapide de l’armée, dont il ne comprenait pas les
risques et les chances de succès à cause de son manque d’instruction militaire,
devenait inquiétant. Il était obsédé par la crainte d’un renversement imminent
de la situation…
Gœring, qui connaissait bien son Führer, mit à profit cette
crainte. Il offrit de livrer le reste de la grande bataille d’encerclement seul
avec sa Luftwaffe, éliminant ainsi le risque d’avoir à employer les excellentes
formations blindées. Il voulait assurer à son aviation, après les opérations
jusqu’alors étonnamment faciles de l’armée, la décision dans la grande bataille
et s’attribuer ainsi la gloire du succès devant le monde entier.
Le général Halder parle ensuite de la relation que lui fit
Brauchitsch après une conversation avec les généraux Milch et Kesselring, de la
Luftwaffe dans la prison de Nuremberg en janvier 1946, au cours de laquelle les
officiers
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