Le Voleur de vent
mettre de l’ordre en ses émotions.
Un vieux du village lui avait parlé de la
porte Saint-Marceau près de laquelle il avait vécu mais elle ne la vit point
tant il est vrai que seize portes commandaient l’entrée en la ville, toutes
gardées par la Milice qu’on appelait au son du tambour.
Elle remarqua que les moines habitaient plutôt
les faubourgs, ici des chartreux, des cordeliers en le Faubourg Saint-Marcel, là,
les moines de Saint-Victor et à Vaugirard, les carmes reformés. Mais d’autres
voisinaient, tels bernardins, augustins ou mathurins, résistant aux jésuites
qui, depuis 1608, s’infiltraient partout, sauf chez les pauvres curés ayant
lamentables conditions de vie.
Elle ouvrit de grands yeux au Marais, qu’on
disait quartier fort riche.
Rue Saint-Honoré, elle fut surprise de voir
surgir devant le carrosse la Croix du Trahoir et éprouva léger frisson devant
la Tour de Nesle en partie écroulée, l’imaginant en la nuit se découpant sur la
pleine lune, les eaux sombres de la rivière de Seine léchant la base de l’édifice.
Ne disait-on pas horribles choses sur ce lieu ?… Mais l’on disait aussi qu’à
la nuit des loups poussés par la faim erraient en la capitale, et qu’ils s’enhardissaient
à la montée des eaux car Paris était souvent inondé.
On ajoutait qu’à la nuit encore, en cette
ville où les rues n’étaient point éclairées, le plus fort était le maître et qu’on
se trouvait en la nécessité d’utiliser nombreuses allumettes soufrées pour
retrouver son chemin.
À de beaux palais succédaient, sans qu’on y
fût le moins du monde préparé, lieux plus sinistres. Ainsi le vieil Hôtel-Dieu
où, d’après le magistrat qui voyageait en sa compagnie, on entassait plusieurs
malades en un seul lit, ce qui facilitait propagation des maladies. Isabelle
vit aussi le pilori, près des Halles, où l’on attachait faux-monnayeurs, putains,
banqueroutiers, débaucheurs ou blasphémateurs et tous ceux-là étaient fouettés
sous les insultes de la foule. Elle frissonna en voyant les gibets de
Montfaucon et détourna le regard au spectacle des hommes sans oreilles dont on
lui expliqua que voleurs, ils avaient trouvé de cette façon leur châtiment.
On passa assez au large de la Cour des
Miracles, les archers eux-mêmes évitant ces lieux mais Isabelle de Guinzan
imagina le pire à l’aspect de ces infectes petites ruelles fangeuses. Le
magistrat, qui connaissait bien son affaire, expliqua à la jeune femme, non
sans quelque complaisance, que gens de truanderie seraient plus de sept mille à
Paris, se réfugiant en cas d’alerte en la vaste forêt de Bondy, où ils vivaient
en hordes.
Isabelle, qui aimait monter à cheval pour
longues courses en les forêts d’Orléans, se sentit étouffer, voyant trop de
choses – et beaucoup fort laides ! – en trop peu de temps. Les contrastes
l’étonnaient, telles ces masures voisinant avec de somptueux palais, sans
parler des couvents et églises où l’on ne se troublait point de la proximité
désolante des lieux de supplices, et donc de souffrances.
Elle souhaitait que le voyage fût bref, ne
voulant plus voir ces murailles et ces tours, ces ruelles étroites, sales et
obscures, ces ponts trop fragiles et pourtant surchargés.
Et il n’était guère que le quartier
Saint-Jacques où elle eût aimé s’attarder, celui-ci se trouvant être le
quartier des libraires au nombre de deux cent trente-cinq. Mais cette plaisante
image ne compensait point l’effet dévastateur que toutes ces visions avaient
inspiré à son âme.
Elle observa, en le centre de la rue, ruisseau
stagnant, faute de pente. Les eaux visqueuses et pourries lui portèrent le cœur
au bord des lèvres. Elle se tourna vers le magistrat :
— Rentrerons-nous bientôt ?
Il lui jeta regard sévère.
— Attendez donc d’avoir vu le Louvre. Et
le roi.
42
À Toulon, on ne s’inquiétait point qu’il ne se
passât rien de nouveau et l’équipage du Dragon Vert, bien qu’il vénérât
l’amiral de Nissac et que chacun fût prêt à donner sa vie pour lui, appréciait
ce temps de repos entre deux campagnes, l’occupant de diverses façons.
En la population, on s’habituait à voir Le
Dragon Vert si longtemps à quai bien qu’en temps normal, le grand et
redoutable vaisseau donnât impression de ne point tenir en place, tirant sans
cesse sur ses amarres, comme pressé d’aller en découdre en haute mer.
La plupart des marins
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