Le Voleur de vent
remèdes
idiots, car gens qui les utilisaient n’étaient point de grand savoir. En
revanche, il détestait ceux qui prônaient pareilles bêtises en affectant de
connaître la science.
Pourtant, Nissac ne tournait point le dos au
progrès, toujours soucieux de la vie des membres de son équipage qui se
trouvaient blessés. Ainsi ne voulait-il point, comme cela se pratiquait encore
beaucoup, qu’on cautérise au fer rouge ou à la poix bouillante, mais qu’on
ligature.
Et c’est au nom de cette facilité à s’adapter
au progrès – dont il se tenait très informé – contre la tradition qu’il savait
aussi dire « non ». Ainsi de la saignée, dont il ne voulait point
entendre parler, tant elle constituait insulte à l’intelligence. Inventée par
Botalli, un Piémontais médecin d’Henri troisième, il la justifiait en disant :
« Plus on tire eau croupie d’un puits, plus il en revient de la bonne :
le semblable en est donc du sang et de la saignée. »
— Sauf si le puits en question est à sec !…
dit Nissac à mi-voix, dans un sourire.
Ainsi, souvente fois en la vie, il préférait
en rire qu’en pleurer tant il ressentait grande impuissance à changer son
époque.
Même Henri quatrième, que Nissac admirait pour
être à l’origine de l’Édit de Nantes, extraordinaire avancée de la tolérance, Henri
quatrième lui-même le décevait pour se montrer cruel en organisant certains
jeux aux Tuileries. Tels ces dogues qui se combattaient entre eux, ou contre
taureau, quand on ne les lâchait point contre un pauvre ours.
Ou cette autre coutume chaque 23 juin, veille
de la Saint-Jean… On plante alors en place de Grève arbre entouré d’un bûcher. Sur
cet arbre sont pendus des sacs contenant douze chatons. Puis l’usage veut qu’avec
une torche ardente de cire blanche, le roi lui-même allume le bûcher en le
silence bientôt déchiré par les clameurs du peuple dès lors qu’on entend les
hurlements des malheureux chatons brûlés vifs.
— Il est cruel, il est le roi, mais le
sang appelle toujours le sang !… murmura Nissac qui désespérait
quelquefois en considération de ce qu’il y a de sauvage et de petit chez l’homme.
Certes, en mer aussi, on tuait, et beaucoup, mais
chez ceux du Dragon Vert, jamais par plaisir. Telle était la condition
de la marine militaire qu’on se battait durement, mais sa propre survie était
en cause. Demeurait la question des prisonniers : on n’en faisait point. Un
événement avait très profondément influencé Nissac en ce sens.
Il se souvenait d’un capitaine anglais, un
barbaresque, du nom de Warwick. Celui là non plus ne tuait point par plaisir et,
en la marine royale française, on le considérait avec un certain respect.
C’était juste après avoir quitté le
commandement d’un modeste vaisseau et Nissac, alors capitaine, sillonnait les
mers du Levant sur une flûte de prise.
Après long duel d’artillerie, Warwick étant
mieux armé, Nissac avait feint de dérober pour revenir confondu en l’aveuglant
soleil et après avoir volé le vent.
Combat au corps à corps fut d’extrême violence,
mais le dernier mot demeura aux marins du roi et Warwick lui-même, blessé par
Nissac en combat loyal, fut ramené en le port de Toulon.
L’amiral se souvenait parfaitement de cet
homme de vingt-trois ans aux longs cheveux blonds bouclés, à la peau brunie par
le soleil, aux yeux d’un bleu faïence.
Passant devant Nissac pour monter au gibet, Warwick
lui avait murmuré :
— Capitaine de Nissac, il eût mieux valu
me tuer, me noyer, mais point la corde. Souviens-t’en, toi qui pensais agir
avec noblesse : point la corde, mais l’épée ou la vague.
Les femmes voyaient passer avec tristesse si
bel homme que ce Warwick, qui mourut avec courage.
Sous le soleil d’août, deux jours plus tard, gros
vers grouillaient sur le beau visage de l’Anglais et le comte considérant ce
spectacle avec tristesse se jura de faire ainsi que feu Warwick avait demandé.
— Oublies !… Marchand d’oublies !…
Qui veut mes oublies ?… Oublies !… Marchand d’oublies !…
Nissac tressaillit.
Il sentit que ce marchand risquait peu de
vendre ses oublies, ne se trouvant personne en les rues glacées pour les manger
aussi en conclut-il que c’était là l’homme qu’il attendait.
Au reste, celui s’arrêta devant Nissac et
demanda :
— Amiral-comte de Nissac ?
— Lui-même.
— Je dois vous
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