Le Voleur de vent
parler.
— Allons dans ma chambre.
Le marchand d’oublies,
qui n’était autre que Luc de Fuelde, s’était présenté comme tel, ne cachant
point que Stéphan de Valenty fût son cousin et évoquant sans les nommer le Père
Joseph et Richelieu.
Il ne dissimula point non plus ce qu’on
attendait de lui :
— Il vous faudra exécuter les comploteurs.
En l’esprit de l’amiral, les choses
commençaient à aller trop vite et cet abbé de cour déguisé en marchand d’oublies
tentait peut-être d’arranger les choses en sa façon qui ne servait point
forcément au mieux les intérêts de la vérité.
— Un instant, dit Nissac, que sait le roi ?
— Il sait que ce complot n’est point
semblable aux autres. Je crois… puis-je vous parler franchement ?
— Sans doute. Et moi pareillement ?
— Bien entendu.
Nissac regarda les oublies, petites gaufres en
forme tantôt de cylindre, tantôt de cornet.
— Alors je mangerai bien de vos oublies
car à vous attendre si longtemps, je n’ai point soupé.
De Fuelde fut surpris :
— Eh bien… mais je vous en prie. Or donc,
le roi à…
— Elles sont délicieuses. Et bien sucrées !…
coupa Nissac.
De Fuelde était de ces hommes qui, l’esprit
occupé par une cause, ne pensent à rien d’autre, et pas même à manger. Aussi ne
comprenait-il point que l’amiral de Nissac puisse avoir faim.
Masquant son irritation, il reprit en grande
patience :
— Pour parler franchement du roi…
— Ah çà, les avez-vous préparées
vous-même, l’abbé ?
Luc de Fuelde n’était point idiot et vit lueur
amusée en les fascinants yeux gris de l’amiral. Il comprit alors que ces
interruptions n’étaient point dues à gourmandise mais au désir du comte de
Nissac que les choses aillent en une allure et sous une forme où il pourrait
les suivre et y participer en rang d’égalité.
Il sourit.
— Soit. Si je ne suis point clair en mes
propos, n’hésitez pas à me demander précisions.
— Telle est bien mon intention.
— Donc, à vous parler en grande franchise,
nous pensons que le roi a peur. Il ne le peut point dire car ce roi de tout
temps fit montre d’une vaillance qui ne connut jamais de faille.
Songeant à la charge de cavalerie de
Fontaine-Française, Nissac répondit :
— Sans doute, pas un seul instant.
— Il est rassuré, cependant, que tant d’hommes
d’Église dont mon maître et son propre confesseur aient pris les choses en main
pour déjouer le complot.
— Sait-il le rôle que vous me réservez ?
— Il le sait.
Nissac resta un instant songeur.
— Il vient pourtant de me confier
missions qui me tiendront quelque temps éloigné de Paris et je ne pourrai rien
contre ceux qui complotent.
Un trait de contrariété barra le front de Luc
de Fuelde.
— Nous savons cela, même si nous ne
connaissons point le détail de ce que le roi attend de vous.
— Et vous n’avez point à en connaître. Mais
ce me semble, m’envoyer au loin pour la guerre et accepter que je m’occupe de
ce complot à Paris est grande contradiction, ne croyez-vous pas ?
Luc de Fuelde, soucieux, attrapa une oublie en
laquelle il mordit sans y prêter grande attention :
— Nous ne comprenons point cette
contradiction, mais ne devons pas nous y arrêter. Nous préférons penser à l’avenir.
Après tout, tôt ou tard, vous reviendrez, n’est-ce pas ?
— Rien n’est moins certain. Ces affaires
ne sont pas sans menus dangers.
L’abbé, qui entendait toujours ne point
demeurer en retard sur le déroulement des choses, poursuivit :
— Je ne veux voir que le cas où vous
reviendrez.
— C’est très gentil à vous et j’aimerais
moi aussi considérer les choses sous cet aspect car après tout, il s’agit de ma
peau.
— Nous progressons presque chaque jour en
la bonne connaissance du complot et de ceux qui y participent sous la conduite
d’un chef absolu, le duc d’Épernon, et c’est hélas le seul nom que je vous puis
livrer pour l’instant. Mais il serait illusoire d’imaginer qu’on puisse mêler
police et justice royale à l’affaire car toutes deux sont gangrenées par l’or
espagnol et ne le seraient-elles, leur temps à réagir est toujours beaucoup
trop long pour affaire si pressante.
Nissac réfléchit un instant, puis :
— Tout cela, je le puis comprendre. Vous
voulez donc que je me substitue à la justice défaillante et aux carences de la
police ?
— C’est bien dit !…
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