Le Voleur de vent
donner
tout cela et qu’il en dispose comme bon lui semblait.
Elle aimait !… Enfin !…
Oui, enfin elle aimait et pour la première
fois en sa vie. Mais non : elle aimait le comte de Nissac depuis toujours,
avant même que de le connaître, et savait qu’elle l’aimerait jusqu’à sa
dernière heure.
Elle soupira. Son regard fiévreux suivit petit
ruisseau…
Elle se dressa d’un coup, manquant de se
cogner la tête au toit du carrosse. Non, elle ne rêvait point. Là, ce haut
cheval noir qui se tenait immobile, semblant regarder son cavalier qui
plongeait son chapeau dans l’eau et le portait à sa bouche pour en boire le
contenu !… Ce chapeau au panache mouillé, plumes vertes, bleues et
blanches.
— Arrêtez !… cria-t-elle.
Le cocher tira énergiquement sur les rênes.
Elle descendit aussitôt et marcha vers Nissac
qui, l’ayant aperçue, demeurait muet de stupeur, tenant encore en une main pain
de munition.
Elle fut émue en songeant : « Du
pain et de l’eau !… J’espère qu’un jour tu verras, cher amour, que je peux
cuisiner bien meilleures choses. »
Ils faillirent se jeter au cou l’un de l’autre,
mais n’osèrent point.
Et ce fut elle qui parla la première :
— Vous souvenez-vous, monsieur, que vous
m’avez proposé d’exaucer n’importe lequel de mes souhaits ?
— Parlez, madame, j’obéirai.
— Je veux embarquer sur Le Dragon Vert.
— Mais…
— Je veux donc que vous m’emmeniez à l’instant
à Toulon.
— Mais…
— La chose n’est point discutable, car un
Nissac préfère mourir que manquer à sa parole, tout le monde sait cela.
— Mais…
— Ne savez-vous dire que « Mais »,
monsieur ?
— Mais…
— Vous voyez bien !
— C’est-à-dire, baronne, que vous ne me
laissez point achever.
— Bien, que comptez-vous répondre à tout
cela ?
Il sourit.
— Tout cela, n’est-ce pas ?
— Oui, sans rien omettre.
— Eh bien, que de réponses… Je vous
dirais donc… oui !… Il en sera comme il vous plaira, madame, et pour tout
cela que vous venez de dire. En doutiez-vous ?
Abandonnant le
magistrat d’Orléans à grande perplexité et lui laissant même son bagage, ne
songeant plus à ses terres, ses vignes ni sa demeure, et moins encore à sa
réputation, elle sauta en croupe, passant ses bras autour de la taille du comte
de Nissac.
Le cheval noir et aveugle filait rapidement, et
plus d’un se retourna pour voir ce couple, l’un avec le panache des belles
plumes de son chapeau et l’une, avec ses longs cheveux blonds au vent.
Certains, les plus âgés, se signèrent, craignant
pour ces inconnus ils ne savaient quels périls.
Car ce couple était la beauté, la jeunesse, la
force et l’amour et tout cela ne serait sans doute point de trop pour tenir à
distance la laideur, la traîtrise, la violence et la mort.
Car en vérité, leurs aventures ne faisaient
que commencer…
FIN
DE LA SECONDE ÉPOQUE
TROISIÈME ÉPOQUE
LE CHÂTEAU DES CHIMÈRES
56
MARS 1610…
Ils chevauchaient
rapidement et allaient, par un froid cruel et sous un vent mordant, en paysage
désolé.
La baronne, parfois au bord de l’évanouissement,
serrait alors plus fort la taille du comte de Nissac ou croisait parfois les
mains sur la poitrine musclée du cavalier qui l’avait prise en croupe.
Sous le ciel noir, des rafales de vent glacées
faisaient frissonner la jeune femme. Les deux premières nuits, ils dormirent en
auberge de route mais la troisième, surpris par les ténèbres, ils avaient
trouvé refuge en un grenier à foin.
En les auberges, on remarqua qu’ils faisaient
chambres séparées mais cette fois, il leur fallut bien dormir côte à côte. Nissac,
s’effrayant du froid en songeant à Isabelle, avait couvert cette menue baronne
de sa longue cape bleu marine avant de se coucher près d’elle.
Puis, la sentant grelotter, il l’avait prise
en ses bras.
En cette promiscuité de deux corps serrés l’un
contre l’autre, il eût été facile, pour elle comme pour lui, de voler un baiser.
À la vérité, chacun y songea et, plus important, chacun se trouvait en la
conviction que l’autre ne le repousserait pas, en quoi tous deux n’avaient
point tort.
Au fond, l’une et l’autre se trouvaient en la
tentation du sublime, de l’amour qui, par sa force, et la pureté qui en est l’essence,
sait résister à tout, y compris à extraordinaire attrait du corps de l’être
aimé.
On voyait rayon
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