Le Voleur de vent
rôtisse en toute sa surface, l’ambrosien récitait prière
en latin, affectant élégantes tournures anciennes assorties de remarques en
grec.
Enfin, il s’approcha, sortit sa dague effilée,
coupa en la fesse du curé, hocha la tête avec contentement et offrit la viande
à « Bleu » qui goûta sans bouder son plaisir, avalant en commentant
avec satisfaction :
— Hon !… Hon !…
Le moine, qui comptait rédiger lettre, regarda
le curé supplicié non sans tendresse :
— Tu es délicieuse, brebis, et ton
dévouement à nourrir ton prochain est pour moi source d’émerveillement. Vois-tu,
s’il demeure un peu de toi lorsque nous partirons, je gage que les soldats du
gouverneur qui découvriront massacre en ce village ne résisteront point à l’envie
de finir tes restes avec ravissements. Quant à moi, c’est la première fois que
je mange du curé et te trouve moins goût de brebis que de sanglier. Tu aurais
gagné à boucaner quelque temps… Sache encore, brebis, que je vais écrire
histoire de ta punition et de celle de ce village afin que nul n’ose plus
brûler loup-garou.
Puis, le regard se durcissant et la haine ne
se dissimulant plus :
— Crève lentement, charogne, et dans
mille douleurs !
54
La nuit était depuis longtemps tombée sur la
rue de Betisy et le comte de Nissac, appuyé contre la façade de la maison où on
lui avait trouvé chambre, fumait petite pipe en terre à très long tuyau en
observant un chien qui déféquait avec air totalement égaré qui l’amusa beaucoup.
Il se dit que, si un jour des précieux tels les mignons d’Henri troisième
faisaient interdire chevaux et chiens en la ville de Paris, celle-ci serait
bien avancée pour retourner à la barbarie.
Bien qu’il fît froid, Nissac n’était point
mécontent de fuir son propriétaire qui souffrait de la goutte et de la gravelle,
soignant cette dernière avec crottes de souris – qu’il devait trouver en
abondance en son logis si l’on en jugeait par les grattements en les plafonds.
Nissac attendait depuis deux heures et sans
doute cimetière se trouvait-il tout proche car il avait entendu crieurs allant
en les rues pour annoncer enterrement. Plus tard, il vit passer ce fameux « cercueil
du pauvre » qui est bien le seul à revenir du cimetière, quand son
locataire y demeure en vilaine fosse.
Il s’étonnait que les hommes ne fussent point
égaux devant la mort. Au moins n’était-il rien de semblable en mer.
Il se souvint qu’ayant dû rencontrer le Grand
Amiral à Paris trois années plus tôt, il avait logé à proximité de l’hôpital. Là,
on cousait les morts en une serpillière avant de les mettre en fosse commune du
cimetière Saint-Marcel. Visite inutile, le Grand Amiral n’étant point à Paris, ayant
été prendre les eaux à Forges, à moins que ce ne fût à Plombières où, pour raisons
qui échappaient à Nissac, les riches allaient chaque année… sauf les années
bissextiles où la chose était réputée dangereuse.
Nul ne savait pourquoi.
Nissac souffrait de toute cette bêtise nourrie
de stupides superstitions. Son propriétaire et ses crottes de souris !… Que
n’avait-il entendu sur ce chapitre !… Et qu’on soignait les écrouelles
avec cloportes bouillis. Et qu’il fallait essence d’urine contre les vapeurs. Et
qu’un collier de langues de chiens faisait disparaître chancres en la bouche.
Lui-même, enfant, avait subi cela en le
château familial de Saint-Vaast-La-Hougue. Ainsi, lorsque sa mère – qui
interdisait telle chose – était absente, une vieille domestique s’obstinait-elle
à lui faire manger affreuse viande de porc-épic qu’on disait bon remède contre
incontinence… dont il ne souffrait point !
Lui-même encore, bien que ses parents fussent
intelligents, portait toujours autour du cou une dent de loup au bout d’une
chaîne d’argent. Mais ne disait-on pas que pour construire leur château, les Nissac
des temps anciens avaient dû disputer la lande aux loups ?… Cela lui
plaisait davantage qu’autres talismans qu’il avait aperçus au cou de certains
hommes : nouet de racine d’iris ou d’angélique, voire de pivoine mâle, dent
de vipère mâle enchâssée dans l’or…
Le comte de Nissac secoua la tête tout en
observant un herbager dont il se demanda s’il n’était pas celui qu’il attendait
mais l’homme passa son chemin et Nissac revint à ses pensées.
Il trouvait quelque excuse à tous ces
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