Le Voleur de vent
de lune délicat se faufilant
par trou en la toiture du grenier à foin et poser lueur étincelante sur les
visages du couple allongé.
Le comte de Nissac, qui douta un instant que
communion entre un homme et une femme puisse être si totale, chercha non point
à tendre piège, mais à s’assurer que la baronne se trouvait en semblables
dispositions que les siennes :
— Faute de le connaître, je n’ai point
souvent songé au bonheur mais il me vient aujourd’hui que c’est chose d’une
grande simplicité, à la fois effrayante et merveilleuse. Quelle diablerie, que
cela !
— C’est que le diable, alors, a grand
pouvoir de séduction. Mais est-ce le diable, ou bien plutôt la nature, qui peut
faire succéder tempête et grand calme ?
Le cœur de Nissac s’accéléra : ne
venait-elle point de confesser, sans le dire, qu’elle se trouvait aussi émue
que lui-même ?
À présent, les vents glacés avaient chassé les
nuages noirs et, par le trou en la toiture, le comte et la baronne, qui ne
pouvaient point dormir, découvraient nuit émouvante et étoilée.
Il tourna légèrement la tête vers elle, et une
mèche de cheveux blonds effleura son visage.
Il murmura :
— Madame, je n’ai point d’expérience en
ces choses…
Le courage lui manqua et Isabelle, souriante
en la demi-pénombre, répondit :
— Et moi pas davantage, monsieur.
Nissac sursauta presque :
— Ah çà, madame, comment auriez-vous l’entendement
de ce que je n’ai point dit encore ?
— Pour raison des plus simples, monsieur,
c’est que je les devine pour les ressentir pareillement.
Nissac fut stupéfait. À aucun instant, depuis
qu’il avait revu la jeune femme, il n’avait songé que les choses se
présenteraient sous aspect de telle facilité. Mais la situation lui échappant, il
craignait de passer pour homme fuyant le danger, ce qui n’était point sa
manière en l’existence.
Il sourit à son tour.
— Madame, j’ignorais qu’il en irait ainsi
tout uniment. Je redoutais de vous confier si vite que je crois au bonheur, et
donc à l’amour. Sans doute sur les mers je cours mauvaise fortune de mourir
mais mes craintes d’affronter barbaresques ou Espagnols ne sont point à la
mesure de celle où je me trouvais de vous faire cet aveu.
— Monsieur, soyez toujours ainsi loyal et
vous connaîtrez combien je le serai en retour.
Il s’insurgea, mais avec douceur :
— Je ne suis point de nature dissimulé, madame,
et parle avec franchise même lorsqu’il m’en coûte. Et s’il m’arrive, comme en
cette nuit étrange, de ne point tout dire, c’est en la raison que je crois qu’il
ne faut point précipiter les plus belles choses qui puissent arriver en une vie.
Elle ne répondit pas, et fit bientôt semblant
de s’être endormie. Mais tel n’était point le cas, et comment l’aurait-elle pu,
se trouvant si proche de l’amiral des mers du Levant.
Elle se tourna sur le côté, il agit
pareillement. Bientôt, elle feignit souffle régulier de personne profondément
endormie. Il se passa alors longues minutes, puis elle sentit main douce qui
écartait ses cheveux et bientôt, on lui déposa long baiser sur la nuque.
Elle aurait aimé contrôler toutes choses, mais
ne contrôla rien du tout car, tel un tremblement de terre, ce baiser de nuque
lui donna long frisson de la tête aux pieds, l’effet s’attardant plus
longuement en le bas du dos.
Nissac, un instant très surpris, sourit. Puis
il décida d’être sage.
Ils arrivèrent à
Toulon sur le coup de midi. À une heure de relevé, dernière patrouille montait
à bord, ramenant marins ramassés en tavernes et cabarets.
Quelques minutes plus tard, précédé de trois
violons qui marchaient encore droit et jouaient juste en raison que la journée
n’était point trop avancée, monsieur de Sousseyrac monta à son tour sur Le
Dragon Vert.
Le motif à embarquement si rapide fut que l’amiral
des mers du Levant voulait mener son navire au radoub en le port de Rouen, son
chantier d’origine, afin qu’on nettoie en bassin la coque alourdie de
coquillages et qu’on calfate certaines infiltrations. Il devait en outre
profiter de l’occasion pour rendre compte au grand amiral qui souhaitait le
rencontrer.
Ainsi pensait-on pouvoir égarer espions du roi
d’Espagne qui ne manquaient pas en les ports français.
En outre, conscient des dangers existants, le
comte de Nissac avait discrètement tenté de mettre en garde la baronne
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