Le Voleur de vent
contre
ce partement, mais elle n’en voulut point ainsi.
Tous les ruffians de l’équipage du Dragon
Vert apprenant la nouvelle d’une femme à bord entrèrent en grande fébrilité.
On coupa les cheveux, tailla les barbes, lava les vêtements durcis de crasse et,
en émouvante façon, chacun s’éprouva à parler langage de politesse qui
déclenchait force crises de rire quant tel, qui disait habituellement « Denis,
porc immonde au fumet mâtiné de bouc en pleine pourriture du fondement, tends-moi
le tonnelet d’eau-de-vie ! » revoyait sa façon pour la rendre plus
exquise : « Denis, doux ami au regard pur et dont le cœur ne l’est
pas moins, me feras-tu l’honneur de me tendre ta fiole d’eau-de-vie ? »
Et cela faisait rire aux larmes.
Lorsque l’amiral et la baronne de Guinzan posèrent
pied sur le pont, monsieur des Ormeaux, le second, fit manœuvrer et aligner en
belle allure tout l’équipage. Satisfait, Nissac dit quelques mots et fit rompre
les rangs mais il éprouva légère appréhension lorsque Isabelle s’approcha des
marins.
Pourtant, elle dosait en grande intelligence
instinctives paroles plaisantes et questions habiles si bien que l’équipage en
tomba follement amoureux sans qu’il vînt à quiconque idée de faillir au respect
lui étant dû.
Nissac, assez fier, invita Isabelle sur le
gaillard d’avant :
— Ah çà, madame, voudriez-vous prendre ma
place ?
— Point donc, monsieur l’amiral. Je
voulais voir et connaître ces hommes qui ont combattu à vos côtés.
Nissac baissa le ton.
— Eh bien, qu’en pensez-vous ?
— Ce sont vos marins, votre équipage :
ils sont tous magnifiques. Avez-vous entendu leur étrange langage qui ne semble
point le leur habituel ?
— C’est qu’ils font efforts pour ne vous
point décevoir et donner belle apparence du Dragon Vert car certains, qui
n’ont ni feu, ni lieu, ni famille, estiment que ce galion est leur maison.
— Ils me donnent grande émotion ! Point
vous ?
— Tout pareillement.
— Mais vous ne le montrez pas… Pourquoi ?
Nissac hésita :
— Ma nature est réservée… Et puis c’est
ainsi, le capitaine doit vivre comme en exil. Je ne sais point vous l’expliquer.
Un mot affectueux de temps en temps, car je ne peux m’en empêcher, mais jamais
trop.
— Mais savez-vous qu’ils vous aiment ?
Nissac sourit, regarda ses hommes à la
manœuvre.
— Et vous, s’il en est ainsi que vous le
dites, savez-vous pourquoi ?
— Comment ne pas vous aimer ?
Nissac fut très ému de cette réponse naïve de
femme qui pense que tous sont en ses dispositions. Aussi chercha-t-il à ne
point brusquer Isabelle :
— Il est peut-être autre raison… Je les
ai toujours menés à la victoire, ils ont confiance en moi et savent mon dégoût
du sang versé. Ce sang, c’est le leur.
Bientôt, on leva l’ancre et le navire
appareilla.
Il glissait bien sur le flot, ne donnant point
toute sa voilure mais ayant pris le vent.
Seule Isabelle s’en étonna, mais ne posa point
de question, constatant cependant que le cap était à l’est.
Elle comprit lorsque, au large des îles d’Hyères,
un petit navire rapide aux couleurs génoises accosta au Dragon Vert. Un
capitaine borgne, sans dents et sans cheveux, sauta sur le pont du galion et, l’air
préoccupé, se retira avec Nissac dans la cabine de celui-ci.
Charles Paray des Ormeaux, le second, s’approcha
d’Isabelle :
— Le Génois est un de ceux qui informent
monsieur l’amiral des mouvements des barbaresques. Il en est comme celui-ci
beaucoup, qui sont les yeux de monsieur le comte, afin qu’il ne soit jamais
surpris.
Le Génois sortit de la cabine dix minutes plus
tard et regagna son bâtiment.
Quant à Nissac, soucieux, il donna ordre de
mettre le cap sur la Sardaigne mais, découvrant le regard anxieux d’Isabelle, il
prit ton forcé de plaisanterie :
— Affûtez le fil de votre sabre, madame, car
nous courons sus aux barbaresques.
Puis Nissac devint impénétrable, songeant déjà
aux dispositions de combat qu’il devrait prendre.
Mais le Génois, trop pressé de ne point s’attarder
près des pirates, avait compté deux galères, ce qui n’était point affaire
facile même pour Nissac et son magnifique Dragon Vert.
Cependant, elles n’étaient point deux, mais
trois.
Flanquées d’un galion…
57
L’amiral de Nissac était soucieux.
Il ne pouvait tolérer l’existence du convoi
barbaresque qu’on
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