Le Voleur de vent
murs, tapisseries en brocatelle à fond vert et
gris semé de ramages incarnat et crème. On voyait chandelier incrusté d’émeraudes
aux armes du Connétable Du Guesclin que celui-ci offrit jadis à un Nissac qui
fut son compagnon de guerre contre l’Anglais, et le contraste de bel objet d’argent
posé sur une table d’ébène présentait fort beau spectacle.
En des vases de cristal, des fleurs de serre
distillaient discret parfum.
Enfin, et ce fut là long et coûteux travail, l’amiral
avait ordonné qu’on posât des vitres et fenêtres à toutes les ouvertures du
château mais la dépense ne pesa guère sur le comte qui puisa en l’immense
trésor des Nissac dont les ancêtres furent mêlés au drame cathare, aux
croisades et à l’affaire des Templiers qui mériteraient elles aussi d’être
contées, et le seront peut-être, mais ne le peuvent ce jourd’huy.
Le comte regarda la baronne avec incertitude.
— J’espère, madame, que l’endroit n’est
point trop austère et que vous ne vous y trouverez point mal.
— Je serais bien injuste, monsieur, si je
ne vous remerciais mille fois.
Il jeta un regard à la cheminée où brûlaient
des bûches provenant d’un pommier odoriférant :
— Aurez-vous assez chaud ?
— Davantage que sur Le Dragon Vert, bien
que j’aie connu moins agréable encore.
— Le lit est-il à votre bonne convenance ?
Elle y jeta un regard : matelas, traversin,
oreiller, couvertures de drap de lin. Une pensée lui vint : « Pourquoi
dois-je y dormir seule ? »
Elle en eut honte aussitôt, et rougit, ce que
voyant, le comte éprouva semblable songerie, rosissant légèrement sous le hâle.
Embarrassée, elle déposa baiser rapide sur les
lèvres du comte.
— Dormez bien, monsieur.
« Maintenant !… Je la prends dans
mes bras maintenant ! »… Mais ayant dit, il hésita quelques instants
et la magie de l’instant s’envola.
Longtemps, en les couloirs de son vieux
château, il alla effleurant ses lèvres d’un doigt léger en songeant qu’il avait
singulièrement manqué d’audace.
Longtemps, elle resta allongée sur le lit en
se persuadant qu’elle s’était montrée trop audacieuse.
Mais en se répétant qu’elle ne le regrettait
pas et que la fois prochaine, elle se montrerait plus décidée encore.
En les jardins des
Tuileries, Henri quatrième congédia l’ambassadeur d’Angleterre assez froidement
car il sentait combien Jacques I er d’Angleterre et d’Écosse n’était
point en grand enthousiasme d’en finir avec l’Espagne par le moyen de la guerre
et bien qu’en son pays, on eût la détestation des catholiques en général et des
Espagnols catholiques en particulier.
Apercevant alors d’Épernon, qui piaffait de
lui parler, il adressa un signe à Bassompierre afin de n’être point seul avec
le duc et Grand Amiral de France.
Le duc d’Épernon, tout vêtu de vert, salua le
roi mais ignora François de Bassompierre car il jalousait le colonel général
des Cent Suisses d’être en telle faveur auprès du roi.
Henri quatrième, qui vouait au duc d’Épernon
une haine tranquille, remarqua :
— Tiens d’Épernon !… Quel horrible
et blafard visage de damné est le vôtre, ce jourd’huy !
D’Épernon, l’ancien « archimignon »,
accordait à son aspect physique grande importance, aussi chancela-t-il mais, après
le froid, le roi sembla souffler le chaud :
— Vous portez fort bel habit !
D’Épernon, flatté telle une jouvencelle, tourna
sur lui-même gracieusement, retrouvant mimiques agaçantes du temps où il bénéficiait
de l’ardeur et des rudes étreintes de feu Henri troisième :
— Vous trouvez, Sire ?
Le roi feignit soudaine contrariété.
— Ah, cependant !… Cependant !…
Brusquement inquiet, le duc s’enquit :
— À quoi songe Votre Majesté ?
— Vous êtes tout de vert vêtu et il est
bien connu que le vert est la couleur des fous.
Vexé, d’Épernon se cabra.
— Que m’importe !… Le vert et toutes
les autres couleurs du monde me siéent bien. Mais le vert en particulier.
— Hé, c’est bien ce que je disais, d’Épernon :
la couleur des fous vous sied bien.
D’un petit geste agacé, d’Épernon sembla
congédier ce sujet :
— Sire, on brûle mes châteaux !
— Sont-ce des hommes eux aussi vêtus de
vert qui commettent telles vilenies car il faut être fol pour attaquer si beaux
ouvrages ?
— Sire, l’un fut attaqué par
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