Le Voleur de vent
la terre et
l’on parle de mille hommes.
— À moi, on affirma qu’assaillants n’étaient
que dix.
— On m’attaque par la mer, remontant la
rivière avec gros bâtiment de guerre, Sire !
Henri quatrième n’eut guère à se forcer pour
prendre un ton las :
— Mais vous êtes, d’Épernon, Grand Amiral
de France !… À part moi, il n’est nul plus puissant que vous en tout le
royaume pour les affaires maritimes. Que ne vous accordez-vous à vous-même un
entretien pour mettre riposte au point ?
— Sire, je ne sais par où commencer.
Le roi soupira de nouveau.
— Consultez homme de bon conseil !… Savez-vous,
monsieur le Grand Amiral de France, que l’amiral des mers du Levant va venir au
Louvre ces jours prochains afin que nous parlions de la prochaine guerre avec l’Espagne ?
— Je l’ignorais, Sire.
— Que puis-je faire si un Grand Amiral
égare ses amiraux, ne sachant où ils sont ?
Le duc d’Épernon resta un instant songeur.
— Voilà une idée… Cependant, on dit cet
amiral peu bavard…
— Mais de grande efficacité, lui.
— Et qu’il serait de très bonne noblesse…
— Beaucoup plus ancienne que la vôtre.
Vexé, le duc d’Épernon prit rapidement congé.
Henri quatrième se tourna alors vers
Bassompierre.
— Il est inquiet et c’est fort bonne
chose…
— On le serait à moins, Sire, ses
châteaux incendiés… Nissac ne perd pas de temps !
— Imagines-tu cela, Bassompierre ?… Je
donne mission à Nissac, il part pour Toulon, coule trois galères et un galion, attaque
par la terre le château de Cadillac et l’incendie, canonne en venant de la mer
château de Beychevelle… et n’est jamais démasqué !… Et on me dit qu’en cet
instant, ou peu s’en faut, il fait trafic d’armes avec les bons pères de l’Église !
— Tout de même, Sire, pour audacieuses et
brillantes qu’elles soient, ces attaques contre d’Épernon étaient très risquées
et Votre Majesté n’avait point donné pareil ordre.
— Bassompierre, c’est lorsqu’on me
surprend d’agréable façon en agissant au mépris des ordres pour réussite
supérieure qu’on se montre le meilleur de mes sujets.
— Meilleur, il lui faudra l’être
considérant ce qui l’attend…
Le roi cessa de sourire.
65
Au matin, le comte de Nissac fut heureux de
retrouver en l’écurie « Flamboyant » qui avait été mené ici par la
route.
La chose avait été rendue possible en grande
facilité par l’entremise de monsieur de Sousseyrac. Celui-ci, qui avait pour
maîtresse comédienne bien en chair, savait que le frère de la dame s’en allait
en Normandie, et qu’il accepterait de faire le détour eu égard au fait qu’il se
trouvait flatté que sa sœur eût pour amant baron, qui plus est capitaine en la
marine royale, commandant l’infanterie d’assaut du légendaire Dragon Vert.
Le comte de Nissac sellait « Flamboyant »
lorsqu’il entendit en son dos :
— Puis-je vous accompagner ?
Se retournant, il découvrit Isabelle de
Guinzan sans réelle surprise, mais non sans plaisir, aussi fraîche qu’après une
longue nuit bien qu’en la réalité, celle-ci eût été fort courte. De plus, son
sentiment amoureux fut fortifié par le fait que, comme lui, elle aima se lever
tôt et affectionna les promenades à cheval car en le cœur naïf et pur de l’amiral,
l’amour est communion en une multitude de petites choses. Il souhaitait que
tout les réunisse, et haïssait ce qui les pourrait séparer. Il voulait qu’ils
se fondent tous deux en une seule âme, un cœur unique, un esprit qui veille
pour tous deux et détestait l’idée qu’ils ne puissent être émus, peinés ou
émerveillés ensemble.
Et comme la baronne, bien que monsieur de
Nissac ne le sût point encore, était sur toutes ces choses en communauté de vue,
ils eussent vécu des jours magnifiques si l’une, ou l’un, s’était décidé à
ouvrir son cœur à l’autre mais en raison de leur pudeur, semblable chose ne
paraissait point sur le point d’arriver.
Monsieur de Nissac surtout souffrait de ne
pouvoir tout dire de ses pensées tel hier soir où, voyant le couple de vieux
serviteurs en réel contentement que tout se passât au mieux pour les convives, songerie
lui était venue : pourquoi, chez tous les pauvres gens, et toute créature
entre en cette catégorie, pourquoi cette aspiration au bonheur, si simple et
émouvante, quand le terme abject de la vie est la
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