Le Voleur de vent
drapeau noir !…
Le baron de Lestanque se dit qu’il fallait
donner des ordres à sa demi-douzaine de soldats et au lieutenant qui les
commandait.
Des ordres, certes, mais lesquels ?
C’est à cet instant que le baron perdit la
tête, emportée par un boulet tiré depuis le vaisseau pirate.
Le lieutenant, accroupi derrière le balcon à
colonnade, se dit que c’était là événement regrettable pour le baron, sans
doute, mais pour lui aussi qui devait prendre le commandement de cette petite
troupe qu’il ne savait à quoi utiliser.
Cependant, l’officier n’était point sans
esprit et il songea à celui auquel il devrait rendre des comptes, le châtelain
du lieu, Grand Amiral de France et Gouverneur : le tout-puissant duc d’Épernon.
La première bordée avait fait bel ouvrage mais
la seconde, plus ajustée encore, fit grands dommages car non seulement boulets
ravageaient la façade mais certains faisaient voler fenêtres en éclats, disloquant
par ensuite l’intérieur des pièces.
De tout cela, il faudrait faire rapport au duc
d’Épernon et, bien que l’endroit fût exposé, plusieurs toises de colonnes du
grand balcon ayant été fracassées, l’officier s’obligea à bien regarder les
choses telles qu’en leur déroulement.
Militaire, il nota tout d’abord que les
artilleurs du navire à pavillon noir étaient excellents en leur besogne, à
preuve : la toiture venait d’être emportée par nouvelle salve.
Il remarqua aussi que le navire ne
ralentissait point, ce qui laissait à penser qu’il ne ferait qu’un passage en
conséquence de quoi, canonnade allait bientôt cesser.
Enfin, il concentra son attention sur la proue
du bâtiment, sachant qu’il trouverait sans doute là signe distinctif.
Et grande fut sa surprise !
Ainsi, en le château de Beychevelle
appartenant au duc d’Épernon, l’emblème était navire à proue de griffon et sauf
à douter de tout, le lieutenant n’ignorait point que le griffon est bête
fabuleuse à tête et ailes d’aigle sur corps de lion.
Mais en le navire pirate, figure de proue
était presque identique à ceci près qu’on avait inversé les choses en créant
bête singulière n’existant point en la mythologie puisqu’on voyait à la proue
du galion tête de lion sur ridicule corps d’aigle.
Ne doutant point qu’il y eut volonté d’affront,
l’officier, qui n’aimait pas d’Épernon, sourit, se jurant de ne pas omettre de
raconter tel détail au maître des lieux.
Une autre salve retentit, causant de nouveau
grands dommages, et l’officier remarqua la puissance sans pareille de l’artillerie
embarquée. Mais il remarqua également qu’on relâchait aux postes de combat, aussi
se redressa-t-il, non sans prudence.
Déjà, le navire s’éloignait.
Mis à part le feu baron de Lestanque décapité,
il ne comptait ni mort ni blessé en sa petite troupe mais, s’étant retourné, il
constata qu’il faudrait bien longtemps, et beaucoup d’or, pour remettre le
château en bel état.
De nouveau, il réfléchit à l’étrange inversion
du griffon sur la proue du vaisseau pirate puis, songeur, il murmura :
— Tête d’aigle pour monsieur le duc, tête
de lion pour les pirates. En la nature, lion mangerait aigle et en la réalité, pirates
ont humilié monsieur le duc.
Il sourit une fois encore tandis qu’en son
esprit il ancrait certitude que ces singuliers pirates avaient cherché à s’amuser
aux dépens du duc.
Le lieutenant se frotta les mains, en grand
contentement, imaginant comme le duc aux manières cassantes se trouverait
défait.
Puis son regard s’attarda sur le beau vaisseau
qui diminuait à l’horizon tandis qu’il cherchait à gagner la haute mer et l’officier
murmura :
— Que Dieu me damne si ceux-là, plus
militaires en la manière que les militaires, sont des pirates !… Mais je n’en
dirai rien !…
64
Le Dragon Vert arriva exactement à l’heure fixée pour la rencontre secrète : minuit, au
large de Saint-Vaast-La-Hougue et Barfleur, par une nuit froide de l’époque du
carême.
Deux navires de commerce abordèrent sur bâbord
et tribord et, à la lumière de la pleine lune, par mer calme, on commença
transbordement d’armes légères : sabres, arquebuses, pistolets, grande
quantité de tonneaux de poudre. On chargea également boulets et partie des
canons constituée des réceptacles en bois et roues de ceux-ci.
L’affaire prit cependant plus de trois heures
mais, malgré
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