Le Voleur de vent
gris perdus en un monde où nul n’entrait, les traits figés de
son visage osseux et tourmenté : cet homme si dur en apparence, si rétif à
toute manifestation de ses sentiments réels, eh bien cet homme l’aimait et
tentait de lui apporter rien moins que du bonheur.
Il était même le seul, sur la terre, qui se
préoccupât de le rendre heureux.
En cet instant, le second n’eut qu’un vœu :
être celui qui mettra son corps entre une balle et l’amiral car malgré ses
longs silences, sa solitude définitive et le sentiment d’une mort forcément
prochaine, le comte l’aimait et était son seul ami.
L’amiral, en cet instant, sourit et se tourna
vers le second qui distingua fossettes d’amusement et lueur joyeuse en les yeux
gris. Mais la chose qu’il dit pétrifia monsieur des Ormeaux tant par cette
sorte de pénétration de l’âme des autres proche de la divination que par sa
gentillesse :
— Refrénez votre nature généreuse et ne
songez surtout pas à mourir pour moi, monsieur des Ormeaux : j’aime que
mes très rares amis soient bien vivants !
« Ami. »
Ce mot, le second eut brusquement conscience
qu’il l’attendait depuis toujours. Et qu’il le touchait infiniment davantage
que si le roi lui eût confié le commandement en chef de la marine royale sur
toutes les mers du monde…
70
Le duc d’Épernon fut déçu par l’apparence de
celui qu’on lui avait présenté comme étant en bonne intimité avec le démon.
Il s’agissait d’un petit homme gras, aux
cheveux gris et au visage simiesque, vêtu comme un bourgeois : chapeau de
laine de Vigogne, pourpoint de laine d’Usseau, manteau en rude drap d’Espagne
garni de passements de soie, bas d’estame et chausses de velours. Telle une
femme, sa chevelure avait été saupoudrée de civette odorante.
Entré en cette maison menaçant ruine de la rue
Saint-Leu, le duc d’Épernon ne pensait déjà plus qu’à en sortir lorsqu’il
remarqua belle pierre d’un bleu dépoli posée sur la table.
L’homme, appelé Lepeyron, suivit le regard du
duc.
— C’est là magnifique pierre philosophale
dont je partage le secret avec quelques autres, dont l’astrologue et
nécromancien de la reine.
— Je connais cet homme, il ne vaut rien !…
répondit sèchement d’Épernon qui prit la pierre bleue en sa main.
Il la considéra longuement, puis questionna :
— Tu as connu Paracelse ?…
— Son enseignement, votre Seigneurie !…
répondit l’autre avec prudence.
— En quoi consiste-t-il ?
— Médications métalliques sont bonnes
pour le corps.
— Sais-tu qui est médecin du roi ne
ressemblant point aux autres de sa corporation ?… demanda d’Épernon qui
poursuivait implacablement son interrogatoire.
— C’est un médecin spagiriste, Votre
Seigneurie.
— Que sais-tu des magiciens et sorciers ?
— On tremble partout devant eux.
— Pourquoi ?
— La raison en est, Votre Seigneurie, qu’il
ne s’agit point là de vaine imagination mais que ceux que vous avez nommés sont
en bon entendement avec le malin esprit.
— On dit que ta mère fut sorcière, et
brûlée. Qu’arriva-t-il alors ?
— Aux derniers instants de sa vie, comme
elle allait trépasser, des crapauds s’enfuirent de sa tête, ce qui mit le
peuple en grand agacement.
— Tu fus prêtre ?
— Je l’ai été, me trouvant élevé par eux
lorsque ma mère fut brûlée.
— Aimes-tu le roi ?
— Je puis l’aimer ou le haïr à votre bon
plaisir car celui qui sert n’a goûts ni dégoûts que ceux de son maître.
— Que peux-tu faire pour hâter la mort du
tyran qu’on nomme Henri quatrième du nom ?
— Je puis vous dire les évangiles me
trouvant sur la tête, celle-ci au plancher et mes pieds en l’air. Et dire la
messe à l’envers.
— Une messe noire ?
— On la peut nommer ainsi, Votre
Seigneurie. Je serai, tête en bas, le célébrant, et utiliserai hostie de
dérision, telle une rave noire.
— Que peux-tu encore ?
— Pour le bon aboutissement de votre vœu,
vous faire manger enfant innocent en hachis et en second plat, corps de sorcier
déterré.
D’Épernon réfléchit. Puis, comme c’était bien
souvent le cas en son caractère, il prit sa décision rapidement :
— C’est bien. On viendra te chercher. Les
yeux bandés, tu seras mené en carrosse en un lieu que tu ne dois point chercher
à connaître car il va de ta vie.
Enfin, désignant un médaillon que le
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