Le Voleur de vent
le plus stupide d’entre eux les
pourra cependant exécuter. Ce complot est une merveille qui réduit à jeu d’enfant
le complot de Brutus tuant César ou la conjuration de Catilina. Jamais, absolument
jamais en les siècles à venir, on ne saura tout ce qu’il faut savoir sur la
mort du Béarnais tant la chose est compliquée et dépasse l’entendement du
commun comme de l’érudit.
Il secoua la tête et aperçut d’Épernon qui, fortement
impressionné, se tenait en retrait, affichant attitude de soumission qui écœura
le moine, celui-ci s’efforçant cependant au calme.
— D’Épernon, je vous ai choisi car vous
êtes puissant et célèbre, non en raison que vous fussiez intelligent et
courageux. Vous m’avez permis de rassembler l’élite du royaume, et même de l’Europe
catholique. Tout cela, vous l’avez fait, je ne le nie point. Mais si vous
voulez tirer profit de cette affaire, accroître votre puissance et votre
immense fortune, ne soyez jamais pour moi un fardeau !… Jamais !… M’avez-vous
compris ?
Le duc d’Épernon hocha la tête.
— Parfaitement, Maître !
69
Le second, Charles Paray des Ormeaux, se
réveilla en sueur bien qu’il fît froid en la cabine des officiers.
Il n’osait bouger, tant son rêve le terrifiait.
Le second ne croyait point à l’innocence des
rêves, pensant tout au contraire que ceux-ci ne doivent rien au hasard. Ainsi, en
ce rêve affreux, devenait-il brusquement aveugle.
Allongé sur sa couchette, il chercha à
rassembler fragments d’images qui, en son esprit, composaient cette horrible
histoire.
L’amiral devait être en mission à terre, se
livrant à destructions pour le compte du roi et, comme la chose était arrivée à
plusieurs reprises ces derniers temps, on lui avait confié le commandement du Dragon Vert. Surgissait alors une lourde galère barbaresque mais cet ennemi
redouté de tant de capitaines pesait peu face au Dragon Vert si fin, si
rapide et si puissamment pourvu en artillerie.
Et c’est alors que toutes choses n’allaient
point en leur bon sens. Ainsi, par maladresse, il n’arrivait point à prendre un
vent capricieux car n’y voyant plus, il ne pouvait lever les yeux vers les
nuées qui souvent indiquent par avance changement de direction du vent. Plus
grave, il ne pouvait situer la galère, se trouvant ainsi en l’incapacité de
diriger Le Dragon Vert qui dès lors courait grand risque de se faire
aborder…
Paray des Ormeaux étouffa un sanglot. Ce rêve,
au fond, ne faisait que précéder, et sans doute de bien peu, chose inéluctable.
Il en accentuait la réalité, et ne l’inventait point totalement.
Le second se demanda pour quelle raison sort
si contraire s’acharnait contre lui, lui qui précisément n’avait jamais été un
favori de la chance. Ainsi son père, gaspillant avec créatures la modeste
fortune des Paray des Ormeaux, allant jusqu’à hypothéquer leurs terres. Et
pareillement cette jeune femme qu’il avait aimée, et qui se trouvait en
semblables dispositions, mais dont la famille ne voulut point entendre parler
de mariage tant le prétendant se trouvait être un parti ruiné.
C’était, en ces deux drames, bien mal
commencer sa jeune vie.
Choses ne furent guère plus riantes en sa
carrière d’officier car la marine était solidement tenue par les papistes et
appartenir à la religion réformée, tel que c’était son cas, le cantonnait ad
aeternam en des rôles de second. Et cela en dépit des excellents rapports
que l’amiral de Nissac – il le savait par un ami – envoyait à l’Amirauté.
Silencieusement, le second se leva et s’habilla,
s’enroulant en une épaisse cape de drap bleu marine car en ces pays du nord, et
en cette saison de l’année, le froid est parfois extrême.
Tout en accomplissant ces gestes, prenant
garde de ne point réveiller les autres officiers, Paray des Ormeaux songeait à
cette histoire de religion. En le royaume des lys, rien n’y faisait, pas même
la grande tolérance du roi Henri quatrième car le peuple demeurait habité par
le feu mauvais du fanatisme.
Toutes ces guerres de religion, tous ces
massacres, à quoi avaient-ils abouti ?
Le second soupira.
Ainsi, lors de sa dernière visite à Paris, avait-il
tenu à se rendre à Charenton, seul temple dont disposaient les protestants de
la capitale. Et ce qu’il avait vu peina durablement son cœur. La nuit était
tombée, cette nuit en laquelle, exclusivement, on enterrait ceux de
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