Le Voleur de vent
la religion
réformée car pareille chose ne se pouvait le jour. Torches à la main, malheureux
formant cortège se hâtaient, portant cercueil à dos d’hommes sous les insultes
et les jets de pierres d’une petite foule qu’animait grande haine.
Voir cela !… Suivre depuis Paris, en
passant par La Râpée, Bercy et les carrières mauvaises routes de terre longeant
la Seine, détrempées dès l’automne, pour arriver à Charenton où se déroule
chaque jour semblable affaire !…
Rendu triste, le second avait tenu à visiter
les deux seuls cimetières protestants de Paris, l’un à la Trinité, à proximité
de la rue Saint-Denis, et l’autre à Saint-Germain… mais tous deux proches des
voiries où l’on jette cadavres interdits en les lieux bénis, tels ceux des
lépreux ou pestiférés.
Il avait rencontré pasteur pour s’en plaindre,
mais celui-ci expliqua que la lutte serait longue pour qu’hommes soient égaux
en leur manière de croire.
Paray des Ormeaux sourit en se souvenant du
pasteur, un homme grand et massif portant habits noirs et barbe en fer à cheval.
Depuis les ports du sud, le second lui avait
écrit, indiquant qualité de son correspondant : F. M. D. S. E.,
qui signifie « Fidel Ministre Du Saint Évangile ».
Parvenu sur la dunette, le second y trouva l’amiral
de Nissac enveloppé en sa longue cape bleu marine, les belles plumes blanches, vertes
et bleues de son chapeau couchées et frissonnantes sous un vent glacé qui
arrivait du pôle.
L’amiral, qui comme toujours regardait au loin
choses qu’il était seul à voir, sourit.
— Bienvenue en le royaume des glaces, monsieur
des Ormeaux.
— Vous ne dormez donc jamais, monsieur l’amiral ?…
demanda le second en sincère étonnement.
— J’aurai bien le temps de dormir lorsque
je serai mort… Mais dites-moi, vous semblez soucieux. Auriez-vous fait mauvais
rêve ?
« Comment diable peut-il le savoir, il ne
s’est pas même retourné ? » songea des Ormeaux que ce genre de choses
surprenait toujours car c’était là grande spécialité de l’amiral.
Néanmoins, il répondit :
— Rêves sont phénomènes extravagants que
l’on ne dirige point, monsieur l’amiral.
Le comte de Nissac observa blocs de glace qui
dérivaient sur la mer.
— Rêves sont aussi liberté pour celui qu’on
enferme, beauté pour celui qui est laid, richesses d’Espagne et d’Amérique pour
qui n’a point de quoi manger. Soyez heureux, monsieur des Ormeaux, que les
hommes, gouverneurs ou prêtres, par exemple, n’aient aucun moyen d’intervenir
sur le cours et la fantaisie des rêves.
L’amiral eut un geste las et ajouta :
— Monsieur des Ormeaux, le roi nous a
confié deux tâches qui ne sont point sans très grands périls. Certains d’entre
nous seront tués. Je cours ce risque comme les autres. Aussi, sachez que je
laisse une lettre au roi. J’y recommande chacun de mes officiers et marins, jusqu’aux
mousses. Pour vous, et pour vous seul, je demande un commandement, celui d’une
galère en attendant un de ces galions que monsieur le duc de Sully va faire
construire. Je crois, monsieur des Ormeaux, que le roi ne me refusera point
pareille faveur, que je sois mort ou vivant, car je ne lui ai jamais rien
demandé et l’ai toujours servi en fidélité absolue.
— Monsieur l’amiral, je ne sais si…
L’amiral de Nissac le coupa, prenant, sans
même s’en rendre compte, ce ton et cette voix que nul n’osait discuter :
— La chose devrait être faite depuis plus
de dix ans et sachez, monsieur des Ormeaux, que ce retard ne m’est point
imputable.
— Je sais, monsieur l’amiral, que vous me
recommandez toujours en vos rapports à l’Amirauté.
Le comte de Nissac tressaillit légèrement, et
lui jeta un regard bref et surpris avant de retourner à la contemplation des
glaces qui dérivaient : ainsi était-il fait que la discrétion appartenait
profondément à sa nature si bien qu’il ne demanda point au second comment il
savait cela.
Il ajouta cependant :
— Faites donc soigner vos yeux. Il est
préférable, pour un bon capitaine, et vous en serez un excellent, qu’il ne
confonde pas escadre de galères barbaresques avec banc de dauphins.
Le second sourit.
Il songea : « Quel grand dommage que
la chose arrive si tard »…
Puis il regarda le comte de Nissac insensible
au vent glacé qui couchait les belles plumes de son chapeau. Le sabre au côté, le
regard des yeux
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