Le Voleur de vent
en le
mépris de la vie humaine, le Père Coton ajouta :
— Prions pour l’amiral et son vaillant
équipage.
— C’est cela même !… Prions pour Le Dragon Vert. Vous voir prier pour un dragon, créature infernale s’il en
fut jamais, me sera vision inoubliable !… répondit le Père Joseph d’une
voix grinçante.
Les loups-garous
rentraient victorieux, mais durement étrillés.
Pas un, en cette nouvelle expédition, qui n’eût
reçu balle ou coup d’épée.
Le moine défiguré chevauchait en tête sur son
cheval pâle puis venait charrette chargée de butin conduite par « Vert »
et flanquée de part et d’autre de « Rouge » et de « Bleu »
qui, souffrant atrocement, allait penché sur l’encolure de son cheval, menaçant
à chaque instant de quitter les étriers et tomber lourdement sur le sol gelé.
Voyant passer cette charrette menée par six
puissants chevaux et qui allait en faisant grand bruit car « Vert », debout,
fouettait sans relâche les malheureuses bêtes, voyant également ce moine qui, capuchon
baissé en raison du vent de la course, montrait visage atrocement mutilé qui
faisait songer à la mort galopant de village en village en période de peste, voyant
ces têtes de loup sur corps d’hommes puissants mais tous blessés et dont l’un avait
tout le flanc rougi de sang, les paysans se signaient ou tombaient à genoux car
pour eux il n’était point douteux qu’en la lutte séculaire qui l’oppose à Dieu,
diable venait par force, ruse ou malice de l’emporter et que sa formidable
armée composée de cadavres, de damnés et de loups-garous se trouvait vomie des
entrailles de la terre où Satan constitua patiemment semblable force qu’on ne
pourrait arrêter et dont on voyait ici une avant-garde.
Au reste, en les villages, on ne parlait plus
que de cadavres amoncelés, femmes violées et tuées, enfants vidés de leur sang
par la gorge, prêtres crucifiés sur les portes des églises et brûlés vifs.
On disait qu’en bien des cimetières et bientôt
dans tous, en les nuits sans lune ni étoiles, les pierres tombales glissaient
en bruit sinistre pour livrer passage à morts assoiffés de vengeance. On disait
aussi qu’en le royaume d’Espagne, il avait plu des crapauds pendant sept jours
et qu’en le ciel, certaines nuits, étoiles tournaient follement sur elles-mêmes
en une course de damnés que seul le diable victorieux pouvait pareillement
inspirer à tous ces astres morts.
L’ambrosien, en tête de son effrayante petite
troupe, allait absorbé en ses pensées. Ainsi, il se demandait jusqu’où il
pouvait s’aventurer en cet office étrange, violent et sacrilège, qui seul lui
donnait bonne et profonde satisfaction en la vie.
L’or, les trésors fabuleux qu’il amassait l’épée
à la main ?… Les bailleurs du complot qu’il organisait si soigneusement en
fournissaient à profusion et même s’il existait volet inconnu de tous en cette
affaire, et dont il assurait seul le financement, tout cela n’était que pauvre
prétexte.
Aguerrir sa troupe de loups-garous ?… La
chose, il est vrai, lui plaisait. Réputation de sa meute de loups-garous, connue
jusqu’au Louvre, le flattait. Les gouverneurs faisaient monter des troupes et
multipliaient les patrouilles mais tout cela ajoutait au plaisir de frapper
encore, toujours plus fort, toujours plus souvent.
Le plaisir !…
Ce mot, en lui seul, suffisait pour résumer le
sens de ses actions. Mais à longuement réfléchir tel qu’il l’avait fait depuis
de longues années, le moine sans visage avait acquis la conviction que le
plaisir est la seule chose qui vaille en l’existence et son prix se trouve au
plus fort lorsqu’il est rare, extrême et sacrilège.
Tel que ce jourd’huy.
Un village, une église et un château. Mais
quel village cossu, quelle riche église et quel redoutable château !…
Partout, même chez les paysans crottés, on
avait rencontré très vive résistance si bien qu’à la fin, on glissait sur
flaques de sang. Ah, quel âpre combat !… Tuer, tuer encore, tuer toujours !…
Quel sentiment de puissance vous venait alors, quelle jouissance plus forte que
toutes les étreintes charnelles imaginables !… Et quel amusement à voir
ces moines coupés en plusieurs morceaux et suspendus en les boucheries !..
— Il faudra recommencer !… murmura l’ambrosien
à son seul usage.
D’ici une semaine, le temps de soigner
blessure de « Bleu »,
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