Le Voleur de vent
prêtre
défroqué portait au cou.
— Qu’est ceci ?
— Serpent qui se mord la queue est
symbole d’éternité, Votre Seigneurie.
— L’éternité est mon terrain de chasse
favori !… répondit le duc.
D’Épernon sortit peu après, si satisfait et
sûr de lui qu’il ne jeta pas un regard à misérable curé qui se trouvait en
cette rue Saint-Leu. Celui-là ne devait pas, selon son apparence, servir la
messe en belle chasuble de taffetas vert et rouge mais en surplis à aubes et
chasuble fort pauvre en or.
Il portait vieille soutane de serge.
Il œuvrait également, étant en réalité jésuite,
pour le compte du roi et nota soigneusement l’adresse d’où venait de sortir le
puissant duc d’Épernon.
Bien qu’il fût peu de chose en l’ordre des
jésuites, et qu’il sût de longtemps que sa pauvre vie n’aurait point grande
importance hors le fait qu’elle fut dédiée à la gloire de Dieu, il détailla
avec certaine imprudence le duc au pourpoint aurore, diamants au chapeau, collet
élégant, gants ornés de dentelle, hautes bottes de chevreau liserés de pourpre…
Mais il eut peu de temps pour semblable observation car le duc monta en luxueux
carrosse tiré par magnifiques chevaux.
Le jésuite fut étonné de ne ressentir que
profond mépris.
Elle vint le
rejoindre sur la dunette.
Sur le pont, ne se trouvaient que marins et
officiers indispensables au service, les autres demeurant en le ventre chaud du
galion, loin du vent glacé qui déferlait en hurlant tel diable furieux.
Le comte se trouva fort ému que la baronne
bravât ainsi le froid pour ne le point laisser en une solitude qui, en réalité,
ne le gênait nullement car elle était sa compagne depuis le jour où, la
première fois, il avait posé le pied sur le pont d’un navire.
Le comte de Nissac trouva ravissant que le
petit nez mignon d’Isabelle de Guinzan fût rosissant sous l’effet du froid, comme
il aima ce geste de petite fille qui souffle sur le bout de ses doigts en le
vain espoir de les réchauffer.
Il jugea en tous points adorable le petit
manteau à capuchon de satin rose chamarré de broderies qu’elle portait ; adorable,
certes, mais ne convenant pas à semblables températures du nord de l’Europe. Aussi,
ne tenant aucun compte des protestations de la jeune femme, il la couvrit de sa
longue cape bleu marine d’officier supérieur qu’il lui posa sur les épaules. Un
fugitif instant, il la tint ainsi, ses mains sur les épaules menues, et
ressentit si fort désir de la serrer contre lui qu’ayant renoncé à pareil geste,
il en ressentit douleur physique tel ce coup de sabre qui lui avait un jour
traversé le flanc en lui brisant trois côtes, ou cette autre fois lorsqu’une
balle lui était entrée en l’épaule pour ressortir à la base du cou, ou…
Il cessa de penser à ses nombreuses blessures,
regardant la mer sur laquelle descendaient flocons de neige.
« Jamais… Jamais il n’osera tenter quoi
que ce soit. Mais pour quelle raison ?… Ne ressent-il aucun sentiment, ce
que je ne puis croire à lire son regard, ou bien pousse-t-il si loin le respect
qu’il porte aux femmes qu’il considère qu’un geste tendre serait perçu tel mépris
de la liberté de celle-ci à choisir elle-même qui lui plaît ? »
La baronne souffrait. Par instants, elle en
arrivait à souhaiter que le comte ne l’aime point et le lui dise car ainsi, elle
ne vivrait pas en grande espérance si souvent et si cruellement déçue.
Sur le pont, indifférent au froid et à la
neige, le seigneur Yasatsuna, torse nu, se battait remarquablement à coups de
poing et de pied contre nombreux mais invisibles adversaires.
Madame de Guinzan regarda l’homme qu’elle
aimait, le voyant de profil. Cette vision bouleversait son cœur et ravageait
son âme. Les grandes plumes ondoyantes du beau chapeau de l’amiral, contraintes
par le vent, lui descendaient par instants sur les yeux.
Elle eut envie de se presser contre lui, mais
elle souhaita également le secouer avec violence pour qu’il abandonnât enfin
ses bonnes manières.
En ces dispositions orageuses, elle lui dit d’un
ton sec :
— Temps glacé, vent polaire, tempête de
neige, mer charriant des blocs de glace et vous, toujours debout sur la dunette,
solide comme un chêne, inébranlable, faisant fidèlement, remarquablement, loyalement
votre devoir. N’en avez-vous donc jamais assez d’être toujours un exemple ?
Elle attendait regard
Weitere Kostenlose Bücher