Le Voleur de vent
nouveau avec beaucoup audace. Vous très
chanceux, admiral !
— Eh bien… Vous a-t-elle indiqué motif de
cette hâte si soudaine ?
Le fils du pays du Soleil Levant regarda le
comte de Nissac d’un air désolé, tant il ne comprenait point qu’on puisse
différer lorsqu’on vous enjoint si troublant commandement. Il reprit avec ce
ton saccadé qui lui était particulier et semblait indiquer grande fureur lors
même qu’il chuchotait aimablement :
— Seigneur Chikamatsu Yasatsuna n’est pas
si chanceux qu’il soit intime avec la petite fleur de jasmin, admiral.
— Eh bien soit, je m’y rends donc.
Mais il n’avait pas fait trois pas que le
seigneur Yasatsuna le rappela :
— Vous très chanceux, admiral !
— Nous verrons, seigneur Yasatsuna, nous
verrons !… répondit le comte de Nissac, tenaillé par forte angoisse.
Il avait à peine refermé la porte qu’elle l’enlaça
et l’embrassa, d’abord avec grande douceur puis avec fougue.
Il ôta son chapeau à plumes et la serra contre
lui avec telle force qu’elle mesura la solitude, et peut-être le désespoir de
cet homme qui cependant à tous semblait la force sans défaillance.
Ainsi s’embrassèrent-ils longtemps, alternant
doux et violents baisers, caresses d’effleurement et grande passion.
Ils parlèrent peu. Et ce fut madame de Guinzan
qui prit cette autre initiative :
— Il y avait si longtemps que j’attendais.
Je ne croyais plus guère en l’amour et pourtant, dès que je t’ai vu, j’ai su
que c’était toi, toi que j’aimerais ma vie entière, toi que j’attendais depuis
ma venue au monde.
Le tutoiement le toucha profondément mais il
ne l’osa point sur l’instant.
— Par crainte, je différais à vous
révéler mon amour, et vous dire combien il est immense et vient de loin, d’une
enfance que je regrette depuis si longtemps déjà et que vous me renvoyez par
bouffées parfumées et sucrées.
Elle le serra plus fort encore.
— Puisses-tu toujours m’aimer comme je t’aime !
— Et vous pareillement car, si je vous
perdais, aucune mer au monde ne serait assez lointaine pour y cacher mon
chagrin.
Elle ôta le pourpoint, la chemise de l’homme
qui lui faisait face. Et le comte se laissa déshabiller par ces gestes doux et
tendres car il eut le sentiment qu’en le mettant nu, elle prenait doucement
possession de lui.
Bientôt, il voulut faire de même avec la
baronne mais celle-ci lui adressa sourire et le poussa sur le lit.
Ainsi allongé, il la regarda se dévêtir avec
grande lenteur, la soupçonnant, mais sans penser à s’en plaindre, d’agir ainsi
par malice car il se trouvait au supplice.
Elle retira sa belle robe incarnat et aurore
parsemée de fleurs d’argent brodées, robe qu’elle avait pourtant passée peu avant,
puis, autres pièces d’habillement furent ainsi retirées en pareille lenteur et
le comte de Nissac songea que cette façon de faire mériterait un nom
particulier, faisant par exemple songer à la façon dont la mer se retirait, révélant
un à un ses secrets laissés sur les plages.
Voyant le désir en les yeux du comte, elle
conserva ses bas de soie noire tenus par des jarretières rouges à boucles d’argent
et, brodé sur les jarretières, le comte put lire : Feliz quien las
aparta [21] .
Il se trouva en grand besoin de la baronne
mais une part de son esprit fut touché qu’elle eût préparé semblable piège, sans
doute à Paris où elle s’absenta un moment la fois dernière où ils s’y rendirent.
Il l’imagina, achetant ces jarretières dont
elle savait – Dieu sait comment, secret de femme ! – l’existence et fut
grandement ému à l’idée de sa jolie baronne, soutenue par l’espoir de le
conquérir, spéculant ainsi sur l’avenir, échafaudant plans et hypothèses, et
vivant déjà ses rêves, le cœur battant à l’idée de l’effet qu’elle produirait
sur lui, peut-être.
Elle vint le rejoindre, légèrement tremblante,
et il ne sut si le froid en était la raison, ou l’émotion, à moins que ce ne
fût les deux.
Il la serrait, caressant les cheveux blonds de
la jeune femme couchée sur lui, et son regard fit rapidement le tour de la
cabine.
Le vent polaire parvenait à se glisser par
très légères fentes des bordages où, sous l’effet du gel, manquait l’étoupe de
chanvre. Certes, pour la première fois où elle se donnait à lui, il songea que
sans doute existait de par le monde endroits plus confortables et
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