Le Voleur de vent
plus luxueux
mais quelque chose en son âme tourmentée se trouvait rassuré que ce fût en sa
cabine du Dragon Vert où il se trouva si souvente fois seul.
Par la fenêtre aux vitres d’un bleu pâle à
croisillons de plomb, il vit la pleine lune voilée par les flocons de neige qui
tombaient dru et qu’on ne pouvait distinguer des étoiles étincelantes cette
nuit-là. La flamme de la bougie dansait comme une petite âme capricieuse
faisant attendre le paradis. Le navire oscillait doucement sur la vague, marquant
à peine les creux. Le vent fou faisait craquer la mâture et tentait de s’engouffrer
à tout prix en les ponts comme si lui-même avait trop froid en cette nuit
glacée et cherchait refuge en le ventre du bateau où vivaient deux cents hommes.
Loin, très loin, peut-être en le magasin du maître voilier, un marin chantait
air nostalgique du pays de Bretagne. Tout cela était beau, exceptionnel et
finalement bien à l’image de leur amour.
Puis, une voix douce mais un peu étouffée
murmura :
— Je t’aime !… Je t’aime tant !…
Se tenant par la
main, ils ne sortirent sur le pont qu’aux environs de midi et l’amiral de
Nissac eut grande surprise de voir tout l’équipage impeccablement aligné en
carrés encadrés par officiers en grande tenue de parade.
Puis une immense clameur venant de près de
deux cents poitrines salua la fin de la légendaire solitude de l’amiral-comte
de Nissac qui pour la première fois s’affichait avec une femme, précisément
celle qui, l’épée à la main – mais la cheville si fine ! – avait chaviré
le cœur de tous ces hommes rudes…
Chapeaux et casques furent lancés en l’air ou
hissés en hauteur à la pointe des sabres.
Nissac, toujours réticent en sa nature à
manifestations ostentatoires et effusions, embrassa la main de la baronne
rayonnante puis, d’une voix grave et émue :
— Messieurs, la baronne Isabelle de
Guinzan et moi-même nous voudrions marier au plus tôt. Pour une fois, je vous
charge de trouver seuls solution à ce problème.
Le Dragon Vert arriva en le port de Dieppe à midi. Autorités locales se trouvèrent
alors en grande confusion car tous savaient quel était ce légendaire navire, et
que le comte de Nissac, amiral des mers du Levant, le commandait.
Mais on était très étonné de voir ce
magnifique vaisseau des mers du Sud si loin en un port du Nord, aussi, les
officiers hochèrent-ils la tête d’un air convenu lorsque le baron de Valenty, qu’accompagnait
le baron Fey des Étangs, fit remarquer :
— On vous dira peut-être, messieurs, que Le Dragon Vert a relâché en ce port… Ceux qui diront pareille chose sont
des menteurs car ce navire n’est point le Dragon Vert, celui-ci étant
signalé sortant de mer Tyrrhénienne pour entrer en mer Ligurienne.
— C’est exact !… fit remarquer vieux
capitaine dieppois à l’esprit vif qui ajouta : Je crois qu’il a subi
avarie légère en faisant manœuvres avec la flotte de guerre du Grand Turc.
— Ah, observa un autre, pour ma part, je
confirme vos dires : on l’a vu en mer de Marmara, au large du Bosphore.
Très satisfait de pareille mauvaise foi au
service d’une si bonne cause, Fey des Étangs répondit :
— Messieurs, roi qui n’est point le Grand
Turc ne manquera pas d’apprécier intelligence, fidélité et diplomatie des
officiers de Dieppe.
À quelque distance, c’est
sans diplomatie, en revanche, que Yasatsuna faisait vider les étriers, en lui
brisant la jambe, à un jeune seigneur arrogant flanqué de dix autres qui s’était
permis plaisanterie sur le teint « jaune d’œuf » du fils du pays du
Soleil Levant – celui-ci détestant les œufs, sauf ceux des poissons.
Yasatsuna n’étant accompagné que du seul
Sousseyrac, les jeunes nobles qui se trouvaient une dizaine se montrèrent sûrs
d’eux, tirant l’épée.
Le baron de Sousseyrac eut alors un geste
apaisant.
— Soit, messieurs, mais regardez d’abord.
D’un geste prompt, le seigneur Yasatsuna banda
son arc et toucha mouette haut en le ciel mais, comme elle retombait, il la
toucha de nouveau et ainsi six fois de suite mais nouvelle flèche, chaque fois,
coupait par le travers en deux flèche précédente.
Puis, d’un geste si rapide qu’on le vit à
peine, seigneur Yasatsuna sortit son sabre du fourreau.
On entendit bruit de vent de l’air haché par
le métal puis un des jeunes seigneurs se trouva en habit réduit à tristes
lambeaux
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