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Le Voleur de vent

Le Voleur de vent

Titel: Le Voleur de vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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une chose qu’on ne voyait plus du tout mais qui exista, disait-on,
en le monde révolu de l’ancienne chevalerie. Et cette chose était que seul en
ce cas, le Français n’abandonnait pas le corps de ses soldats à l’ennemi.
    Le mousquetaire fut troublé, vivant fort cruel
dilemme : tirer et faire jusqu’au bout son devoir en ne laissant point
échapper à la mort officier commandant les Français, ou ne point tirer pour
rendre hommage à un homme agissant si noblement ?
    À l’heure ultime de son existence, le vieux
soldat s’arrêta finalement à la décision qu’en la vie n’était décidément ni
amis ni ennemis, ni gens de votre parti ni adversaires, ni Français ni
Espagnols. Vérité était plus simple et plus sérieuse : il existe des
hommes, d’où qu’ils viennent, qui partagent votre conception du monde, et
ceux-là sont des frères.
    Et puis il y a tous les autres…
    Il modifia la ligne de tir de son mousquet et,
par ultime dérision, visa l’Étoile polaire.
    À la cinquième salve
furieuse des batteries d’artillerie du Dragon Vert, résultat espéré fut
obtenu.
    L’épaisse couche de glace se fendit
brusquement à la vitesse d’un cheval au galop. L’entaille profonde dessina une
ligne fantasque d’abord puis, suivant les impacts des boulets, circulaire. Et
bientôt énorme plaque de glace s’inclina vers l’avant, tel navire qui sombre, si
bien qu’en quelques instants, tout fut précipité en la bouillonnante, sombre et
glacée mer du Texel : soldats espagnols en formations impeccables, officiers
aux casques ornés de panaches, amiral et son superbe cheval blanc, bannières, drapeaux,
étendards, tambours… Tout bascula.
    Puis, sur la banquise soudain déserte et en un
bruit sinistre, les deux plaques de glace se heurtèrent avant de se réunir
comme elles s’étaient scindées, se refermant sur une armée fantôme…
    La surface de la glace était vide, du grand
vide de la mort.
    Les canons s’étaient tus. Il régnait sur l’endroit
un silence de deuil à la seule exception du vent qui hurlait comme pour
rappeler aux rescapés la sauvagerie de la guerre.

74
    Le comte de Nissac, devant l’équipage réuni, félicita
le second pour son initiative qu’il qualifia d’« inspirée », « remarquable »
et « de grande intelligence ».
    Le second, au comble de la félicité, s’inquiéta
cependant de si nombreux bonheurs en si peu de temps…
    Puis, selon cérémonial existant sur Le
Dragon Vert, on immergea les corps des huit tués – un blessé avait succombé,
deux autres devaient mourir les jours suivants. Avec dix morts au total, Nissac
avait perdu le quart de l’effectif lancé à l’attaque de la Flotte du Nord, et
ce bilan lui parut bien lourd.
    Il éprouva grande tristesse à voir disparaître
en la mer bouillonnante le corps de Louis de Sèze, comte de La Tomlaye mais, sans
chercher lâche consolation, il pensait que semblable mort, un sabre espagnol
passé en travers du corps sur le pont d’un navire ennemi, était préférable à
celle qui consiste à mourir enchaîné à un banc de galère sous les coups de
fouet de la chiourme.
    On avait lesté les cadavres, afin qu’ils ne
soient point rejetés vers les Frisonnes orientales ou la baie d’Helgoland, puis
l’amiral avait donné ordre de suivre route vers le sud.
    Il se sentait épuisé, moins par la longue
marche aller-retour sur la glace ou par les furieux combats au sabre que par la
peur qui fut sienne de perdre tous ses hommes et la femme qu’il aimait.
    Aussi, escomptant plonger rapidement en un
profond sommeil, vit-il arriver avec des sentiments mêlés le seigneur Yasatsuna
qui prenait airs de conspirateur.
    L’amiral tenta de sourire au fils du pays du
Soleil Levant mais ses yeux gris disaient assez, pour qui savait déchiffrer ce
regard, qu’il espérait vivement ne point entendre parler de la grâce des lotus
mouillés de rosée sous premiers rayons de soleil printanier ou de « la
voie de l’arc », à moins que ce ne fût de l’arrière-goût succulent du
poisson cru, très légèrement pourri chez le véritable amateur.
    Mais le seigneur Yasatsuna qui, après tout, était
peut-être accessible lui aussi à la fatigue, alla droit au but.
    — Vous très chanceux, admiral : dame
Isabelle, cette jolie fleur de cerisier, veut voir vous.
    Nissac fut surpris.
    — Quoi, là, maintenant ?
    — Maintenant, et en sa cabine qui fut
autrefois la vôtre et pourrait l’être à

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